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Epistoles-improbables - Blogue-notes de Jean Klépal

Implosion et questionnements

24 Avril 2020 , Rédigé par Blogue-note de Jean Klépal Publié dans #aquarelle, Alain Sagault, Patrick Boucheron, Giorgio Agamben, Achille Mbembé, Etienne de La Boétie, D iscours de la servitude volontaire

Une Epistole datée du 21 février 2020, « A propos de l’aquarelle », traite d’un dialogue en cours avec Alain Sagault. Celui-ci vient de m’envoyer une belle réflexion sur le vibrant jaillissement de la lumière, fruit de la relation amoureuse entre les pigments colorés nourris de gomme arabique et de miel, et le papier mouillé qui s’imbibe avec volupté au contact d’un pinceau délicat. Voici qui ouvre sur la rêverie et le mystère de la création artistique. La tentation est grande de se laisser emporter. Mais baste, le poids du quotidien l’emporte, la pesanteur physique et mentale du confinement s’impose au premier plan. Elle taraude, impossible d’y échapper.

Comment se fait-il qu’une société toute entière supporte une telle contrainte ?

Comment l’Etat obtient-il aussi aisément de la population résignation et obéissance ? Avec quelles conséquences prévisibles ?

Est-il envisageable de lutter contre une politique d’atteinte aux libertés individuelles alors qu’elle se révèle sans doute efficace ? (Contradiction ô combien inhibitrice.)

L’historien Patrick Boucheron pose ces questions dans une interview récente, suite au constat de l’acceptation générale de la limitation de notre liberté de mouvement, ainsi que de nos relations amicales et familiales. Cela au nom d’un risque dont l’indétermination renforce la crainte.

Reprenant quelques précédents historiques, il note qu’une épidémie n’a jamais rien changé dans la manière d’obéir, de produire, ni de gouverner. Relevons au passage sa remarque selon laquelle une société très éprouvée continue en général à croire au même dieu et à obéir au même roi.

Doit-on renoncer à la liberté pour sauver la liberté, interroge de son côté le philosophe italien Giorgio Agamben.

Alors que l’Autre devient suspect a priori, alors que cette suspicion implique une prise de distance, il parait logique de se demander si de nouveaux modes de relation durables ne sont pas en train de s’installer au sein d’une société en voie d’atomisation. Nous assisterions là au repliement sur soi, à une frontiérisation farouche face à la mondialisation dévastatrice. Ce serait alors le temps de la fin de la parole, au bénéfice du rêve enfin accessible d’une organisation automatisée du monde, nous dit le philosophe africain Achille Mbembé.

Retour en force des passions primitives, bestialité, racisme, communautarisme agressif, dénonciations, ouvrent alors la voie à la primauté absolue des décisions du Chef (Führer, Duce, Caudillo, Conducator, petit père des peuples).

Lorsque le pouvoir suprême est quasiment délégué à des experts médecins ou technocrates, comme c’est le cas aujourd’hui, la démocratie est en péril vital. C’est certain. La lutte impitoyable des ego entre eux n’a jamais rien apporté  bon, l’union sacrée n’est qu’une formule incantatoire masquant la réalité.

Pendant ce temps, les juristes frileux voire complices se taisent ou se soumettent au pouvoir exécutif, qui s’arroge des pouvoirs exorbitants ! Quand plus personne ne garde les règles fondamentales, le coup d’état feutré est en passe de réussir.

Le confinement (et les mesures d’autocontrôle intériorisant la soumission, qui l’accompagnent) n’est sans doute acceptable que s’il est de courte durée, et non pas s’il sert à occulter de graves lacunes politiques. Dans le cas contraire, il ne peut être qu’un outil de la mise en place du totalitarisme et de l’asservissement consenti d’une population sous-informée et apeurée en permanence par une presse aux ordres et des rumeurs savantes. Cette population a tellement besoin d’assurances qu’elle peut se satisfaire de la vague idée que demain sera un autre jour.

Des aménagements salariaux à la marge, concédés à quelques catégories de « héros » (anciens combattants bientôt méprisés), devront alors suffire. Le tour sera joué. Les lobbies auront gagné, comme à l’accoutumée. La catastrophe ne pourra plus être différée. Bonne chance à nos descendants !

Tenter d’éviter cela exigerait un réveil rapide, une prise de conscience collective, et une forte capacité d’organisation. Croire que le changement de paradigme puisse advenir de lui-même serait bien niaiseux. Il va de soi que la confrontation sera rude et impitoyable. Les champions de l’ordre mondial actuel ne se démettront pas sans user de tous les moyens d’oppression et de répression dont ils disposent.

Pour mémoire

« Il est une chose une seule que les hommes … n’ont pas la force de désirer : c’est la liberté, bien si grand et si doux ! Dès qu’elle est perdue, tous les maux s’ensuivent, et sans elle tous les autres biens, corrompus par la servitude, perdent entièrement leur goût. (…)

Pauvres gens misérables, peuples insensés, nations opiniâtres à votre mal et aveugles à votre bien ! Vous vous laissez enlever sous vos yeux le plus beau et le plus clair de votre revenu, vous laissez piller vos champs, voler et dépouiller vos maisons des vieux meubles de vos ancêtres ! (…)

Ce qu’il (votre maître) a de plus, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. (…)

Il y a trois sortes de tyrans. Les uns règnent par l’élection du peuple, les autres par la force des armes, les derniers par succession de race. (…)

Celui qui tient son pouvoir du peuple, il semble qu’il devrait être plus supportable ; il le serait … si dès qu’il se voit élevé au-dessus de tous les autres … il ne décidait de n’en plus bouger. (…)

Les gens soumis, dépourvus de courage et de vivacité, ont le cœur bas et mou et sont incapables de toute grande action. Aussi font-ils  (les tyrans) tout leur possible pour mieux les avachir. »

(Etienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire, 1546-48, passim)

 

Implosion et questionnements
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A
Bonjour Jean.<br /> <br /> Quelques pistes. Même si je radote un peu.<br /> <br /> Comment se fait-il qu’une société toute entière supporte une telle contrainte ?<br /> <br /> Comment l’Etat obtient-il aussi aisément de la population résignation et obéissance ? Avec quelles conséquences prévisibles ?<br /> <br /> Près de quarante ans de formation, de construction, de tissage, de maillage de travail d'orfèvre pour un système. Désormais nous avons une armée de techniciens, d'experts formatés dans un domaine et un seul, de communicants surdiplômés, se croyant donc supérieurs, pour une technostructure globale. La technologie est là. La surveillance de masse est là (reconnaissance faciale et intelligence artificielle des caméras, des drones...). Le transhumanisme est là. Les robots autonomes sont là -police, armée-. La fabrique d'opinion est là. La novlangue est là. Le cursus scolaire et universitaire est là pour garder la structure sociale.<br /> Je ne veux pas m'étendre ici, je crois que quelque uns de mes commentaires ici (sur d'autres pas du blogue) dessinent une partie de mes observations. Gouvernance globale et contrôle des masses versus démocratie plus directe sur des territoires moins vastes pour prendre en main son existence, choisir son existence. Néolibéralisme comme socle, comme matrice du transhumanisme. Société du spectacle et de l'information comme simulacre, valeurs des apparences et fabrique d'opinion. Liens très forts de subordination par le statut social et les salaires. Système scolaire et universitaire comme garant de la structure. Vitrine démocratique et arrière-cour géopolitique d'immondices humains. Simulacre sur le terme "écologie", qui n'est qu'une transition énergétique des matières fossiles vers les terres rares -entre autres-. Le ventre mou de la société et sa peur d'existence. Classe moyenne en charentaise avec le slogan incarné : "Pour moi et les miens jusqu'ici tout va bien". Les autres ? "Ils méritent bien leur sort."<br /> <br /> A noter que, ayant vécu dans les quartiers populaires et désormais dans les champs populaires, de nombreuses personnes ont fait sécession depuis longtemps, construisant leurs existences dans un genre de système parallèle. Il me semble que politiquement, un acte décisif serait de pouvoir unir ces populations, qui pour la majorité ne votent pas.
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A
Jean. En réponse à votre réponse. <br /> <br /> Je comprends que de tels constats puissent troublés. C'est là qu'on voit que la notion de réalité du vécu est un vaste débat. Je comprends que de telles opinions puissent choquées. Aussi, j'aimerais que les tenants et les affiliés de ce système puissent aussi dire et comprendre que leur choix de société puisse choquer. Ne pas convenir. sans dire que tout est mauvais.<br /> <br /> Maintenant je vous retourne le merci. A savoir que pour moi la transmission est une fleur en humanité. Et puis Jean, vous le savez mieux que moi, si nous regardons en arrière depuis la nuit des temps, nous avons tellement de prestigieux prédécesseurs, qui nous ont amené le bouquet jusqu'ici. Oh oui, ce genre de courants de pensées a une assise tellement belle dans les siècle, que nous en transmettons un témoignage actualisé. Il me semble. En sachant que tout est nuance.
B
M'étant attiré quelques remarques acerbes directement reçues, j'apprécie tout particulièrement ce commentaire avec lequel je me sens pleinement d'accord, et dont la conclusion me parait très opportune.<br /> Merci Arnaud.
C
BRAVO ! Toujours clairvoyant .Nous risquons de nous acheminer vers un société du style "soleil vert".
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