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Epistoles-improbables - Blogue-notes de Jean Klépal

Architecture : Rudy Riccioti, suite

26 Avril 2013 , Rédigé par Blogue-note de Jean Klépal

Deux lectures complémentaires : L’Impossible (mensuel, 7 €) ; Rudy Ricciotti, HQE (Le Gac Press, éd. 2013, 103 p., 13€)

 

Dans ma « Brèves n°6 » j’ai signalé l’existence de L’Impossible, un mensuel lancé en mars 2012, disponible en kiosques et dans certaines librairies. Le n° 12 vient de paraître en ce mois d’avril 2013, il consacre plusieurs pages à une « Image de l’architecte en miettes ». Rien que ça.

«Elle s’angoisse, elle vacille, un danger la menace, l’architecture : sa dilution, son émiettement en d’autres professions.»

Déjà en 1968, dans ses Mémoires d’un architecte, Fernand Pouillon prêtait une conversation  à deux de ses confrères :

- Que fais-tu ?

– Du sordide. Et toi ?  

– Moi aussi.

Depuis, le désenchantement n’a cessé de se développer, écrit l’auteur de l’article.

Peu à peu le concepteur a vu son rôle fondre dans la complexité des processus mis en œuvre. Les normes sont devenues accablantes, les équipes pluridisciplinaires exigées par les avis de concours s’apparentent parfois à un générique de film, les partenariats public-privé fragilisent l’architecte et le réduisent à un rôle de supplétif soumis aux injonctions des majors du bâtiment.

Ces phénomènes conduisent à des productions fréquemment navrantes, répétitives et stéréotypées. Un urbanisme planétaire uniforme développe un marché d’architectes vedettes devenus de simples marques commerciales. Ce marché s’apparente au mercato des footballeurs.

Face à cela, certains développent des postures médiatiques qui souvent sonnent le creux de l’outrance, d’autres, non moins soucieux de leur image, explorent des voies fondées sur des réflexions relatives à l’emploi de nouvelles techniques, des imaginaires particuliers, des préoccupations sociales, des enjeux culturels. Parmi ceux-ci figure « Ricciotti ou la version rock star, l’architecte en animal sexué et parfois destroy, tantôt en cuir noir, tantôt genre Vieux-Port, en espadrilles et débardeur bleu marine, musculature impeccable, bronzée.»

 

Evocation bienvenue au moment où parait la réédition « relue, réactualisée et augmentée d’un épilogue » de Rudy Ricciotti, HQE.

Deux textes de Ricciotti paraissent donc ce mois-ci (cf. blogue du 17 avril,  L’architecture est un sport de combat).

L’actualité du MuCem de Marseille constitue une belle opportunité éditoriale, dont nous ne nous plaindrons pas.

 

Colt sur les hanches, Ricciotti dégaine et tire à vue sur tout ce qui l’insupporte :

En urgente priorité, le miroir aux alouettes et l’influence technique néfaste de la Haute Qualité Environnementale, qui développe confusion, mystification, et collusion entre technocrates et marchands du Temple. « Le HQE est la doctrine des affairistes prédateurs. » Viennent ensuite la normalisation, le juridisme, la terreur technologique, le sectarisme, l’urbanisme paysager, l’activisme commercial et le lobbying des majors du bâtiment, le Grenelle de l’Environnement, les technocrates de tout poil, le « réseau des mafieux de l’environnement organisé en tribu. » Etc.

Le feu est si nourri que les métaphores disqualifiantes, les oukases, les anathèmes, pleuvent comme à Gravelotte. Il y en a pour tout le monde. La faconde indignée de l’auteur, la tonitruance de ses clameurs à chaque fois justifiées, pourraient parfois masquer à un lecteur trop pressé la pertinence et la richesse du propos. Ce livre est à lire avec une attention soutenue. Au fil des pages des formules acérées frappent et imposent la réflexion. Bigre, le bougre, quelle santé !

Quelques échantillons picorés au fil des pages :

Les intolérances normatives et l’hypertrophie des règlementations représentent une formidable aubaine pour les chantres  de matériaux et de techniques inappropriées. Il s’agit dans bien des cas de « terreur technologique et d’ostracisme ».

C’est ainsi, par exemple, que l’empire de la climatisation répute geste « socialement dégradant » l’ouverture d’une fenêtre pour ventiler une pièce… (Combien d’entre nous n’ont jamais pesté contre cette stupidité ?)

« Un chantier propre ici, mais qui délocalise sa saleté ailleurs, telle est la félonie vendue en général aux riverains et au maître d’ouvrage par le discours sur l’assemblage à sec non polluant avec des profilés métalliques silencieux. »

Les jurys des appels d’offres, qu’il appelle des tribunaux, sont peuplés de « psychopathes incompétents et vicieux », prétextant de théories fumeuses pour étouffer la vie à coup de prétendues raisons.

Les mythes numériques et composites conduisent irrévocablement à un « enlaidissement raisonné » des paysages.

Faire « l’économie du sol pour les générations futures » en refusant de « transformer des territoires agricoles en lotissements industriels ou en zones de supermarché » serait une mesure de sauvegarde de première nécessité si l’on veut rompre avec la délocalisation des métiers de base.

Le « développement durable est une vertigineuse question politique traitée avec l’allégresse de l’amateurisme politique. »

Pour l’auteur, les mesures les plus urgentes à prendre sont les suivantes :

« Interdire la publicité et la communication institutionnelle, taxer les faibles densités, criminaliser l’imperméabilisation non justifiée des sols, interdire le plastique dans la construction, interdire la climatisation généralisée, réduire à la source et aux compteurs les puissances d’énergie distribuées aux édifices tertiaire (…) Eradiquer sans remords la doctrine HQE.»

Difficile de s’en sortir par un simple haussement d’épaules.

Combien sont nécessaires à une hygiène élémentaire de tels coups de boutoirs !

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