A PROPOS DE L’ABSTENTION
S’abstenir de voter, voire voter blanc, serait hautement blâmable aux yeux de beaucoup. Le processus électoral serait un des garants de la démocratie.
Voilà une évidence qui mérite au moins une prudente réserve.
Ce qui va de soi requiert toujours quelque circonspection. Méfions-nous de ces logiciels sociaux qui structurent dangereusement les comportements et font que les choses sont ce qu’elles sont, parce qu’elles sont ainsi.
Ce qui renforce l’être dans son existant, pétition de principe, ou encore argument d’autorité, évidemment ne démontre rien.
J’ai appris dans ma prime jeunesse que les enfants ne parlent pas à table, que les grandes personnes sont des grandes personnes, les enfants des enfants, et qu’une jeune-fille est une jeune-fille. Plus tard, vêtu de kaki horizon (chacun avait alors ce navrant privilège), on a voulu me persuader qu’un ordre est un ordre, puisque c’est un ordre.
Vint l’époque où j’ai entendu que le vote est une des marques de la démocratie, et que nous sommes en démocratie puisque nous votons.
Ensemble de vérités révélées, assénées, indiscutables, car établies par la Vulgate.
Cependant, dès mon premier séjour en Inde j’ai réalisé que là-bas, contrairement aux évidences communément admises ici, une vache n’a rien à voir avec une promesse de steaks. J’en ai donc déduit que, bien que vénérée en Inde, sacrée même, une vache ne saurait nullement s’apparenter pour nous à la Vierge Marie. O tempora ! O mores !
Alors ?
Sommes-nous si certains de nos certitudes ?
"Plaisante justice qu'une rivière borne ! Vérité au-deça des Pyrénées, erreur au-delà" remarquait déjà Pascal.
Mot à mot :
- Election, du latin eligere choisir.
- Elite, ceux qui sont choisis, les élus, le peuple élu, les élus du peuple.
Qu’a notamment apporté la Révolution, la Grande, sinon le remplacement d’une élite aristocratique héréditaire par une autre, élective et très attachée à devenir autoreproductible ? L’invention des « Droits de l’Homme » que l’on prétend LA marque de la France n’est sans doute qu’un accident dans l’Histoire de notre pays, qui n’a jamais durablement développé cette image. Un de ces nombreux objets trouvés du langage politique.
Qu’a fait d’autre la démocratie élective sinon de solidement installer une nouvelle élite à laquelle nous acceptons de déléguer nos pouvoirs pour la durée d’une mandature ? Servitude volontaire, quand tu nous tiens ! Au secours La Boétie !
Alors qu’à peine une élection se déroule-t-elle l’accent est mis aussitôt sur la prochaine échéance, que signifie accepter de déléguer pouvoirs et responsabilités à des mandataires dont le seul véritable souci est d’être réélu ?
Comme le souligne Alain Sagault dans une récente chronique de son blog (l’adresse figure dans les liens à partir de celui-ci), marketing, impostures et magouilles financières sont devenus la loi.
De Charybde en Scylla, de Cahuzac en Copé et consorts.
Où est désormais la politique, où discute-t-on des options fondamentales engageant l’avenir à moyen et long terme ? En quoi refuser de se prêter à ce maquillage habillant les apparences du masque cosmétique de la… démocratie (sic), serait-il blâmable ?
Ne sont-ce pas plutôt la plupart des votants qui, jouant le jeu d’une sorte de carte blanche conférée à des élus professionnels, s’abstiennent de leur responsabilité de citoyens en acceptant de se défausser de leur pouvoir ?
Et si par conséquent l’abstention était d’abord le fait d’électeurs arc-boutés sur le hochet d’élections récurrentes, devenues simple leurre ? En s’abstenant de toute contestation véritable, ils admettent de se laisser manipuler comme moutons de Panurge ?
Et si, de surcroît, voter c’était souvent s’abstenir de penser ?
De manière paradoxale, l’abstention n’est sans doute pas là où on la situe communément.
Que valent ces près de 57% de non-votants aux élections européennes ? A eux seuls ils forment une majorité. Leur abstention est-elle autre chose qu’une marque d’intransigeance face à l’enjeu, en même temps qu’un refus des minables dérives de la vie politique ? Ne pas accepter de jouer à un jeu dont les règles sont inconvenantes, ne veut surtout pas dire un désintérêt pour le jeu en général.
Tant qu’une remise en question fondamentale des pratiques et des procédures ne sera pas intervenue, il est clair que le refus de participer, le refus de se faire complice, est la seule attitude responsable qui vaille. Non pas abstention, mais boycott résolu.
La notion de moindre mal, par laquelle le mal est notoirement admis comme une constante incontournable, n’est que l’expression d’une démission.
Qu’advienne vite le temps d’une reprise en main, de l’élaboration de perspectives à long terme, claires et intelligibles, d’un remodelage d’institutions complètement moisies, pourries jusqu’à l’os ! Et alors, espérons-le, le vote reprendra des couleurs.