Parler, examiner, scruter, le silence...
Un désir renouvelé d’écriture avec l’ami Alain Sagault, très subtil aquarelliste et bénéfique agitateur d’idées.
Une difficulté de concrétisation.
Comment démarrer, comment aborder ce thème, récurrent, presque obsessionnel ?
Une réflexion essentielle à entretenir, à reprendre. Aussi difficile que tenter de saisir une présence qui échappe en permanence. La présence de l’inconnaissance.
Il faudrait développer.
Le silence néglige le désordre de la vie. Il l’ignore. Il se passe très bien de cette turbulence. Il se tient aux limites d’un autre monde, comme un arrière-pays perdu peut-être, une trame inatteignable, ou bien un temps d’amont mystérieusement soupçonné. Il s’agirait alors de ressentir et d’accompagner nos émotions. C’est-à-dire de suivre le lien nous guidant au-devant de nous-même.
Le silence permet sans aucun doute de se passer de l’incompréhensible nécessité du recours à la parole d’un Dieu, quel qu’il soit. (C’est cela qui d’évidence effraie Pascal.)
Grandeur du silence.
Pureté cristalline du silence.
Quête d’une indispensable sérénité.
L’art nous permet de cheminer vers ce lieu de la blessure secrète représentée par le souvenir d’un Âge d’or, d’un Eden, voire d’un Paradis perdu. Ulysse nous dit combien difficile se révèle le retour, mais il nous en dit également la possibilité.
Peinture :
Emprunté à l’Invitation au voyage de Baudelaire, Luxe, calme et volupté, œuvre de Matisse, nous montre combien malaisée se révèle parfois l’invocation aux origines. Cette peinture assez maladroite parce que trop volontariste souligne le flouté des sentiments et la vanité de la raison raisonnante. Sa puissance évocatrice n’en demeure pas moins. La force attractive d’un ailleurs imaginé l’imprègne.
Avec les Nymphéas, Monet nous guide dans une patiente reconstruction d’un temps retrouvé de l’harmonie éblouissante des lumières et des ombres colorées. Jeu de la souvenance d’un bien-être initial, d’où nous provenons, vers lequel nous nous acheminons sans doute au terme de bien des vicissitudes.
Par-dessus tout, le vide saturé du paysage idéal ou Paysage hongrois, peint à fresque au quattrocento par Masolino pour le palais Branda, à Castiglione Olona, probablement l’un des tout premiers paysages sans représentation humaine, illustre le puissant saisissement que nous impose parfois la contemplation de la création. Cette fresque nous renvoie aux merveilleux paysages de silence dont abondent l’Ecosse, l’Irlande, la Galice ou encore la Toscane.
Sculpture :
L’Aurige du musée de Delphes, et le buste de Néfertiti conservé dans un des musées de Berlin, dégagent une telle force qu’une tranquillité bienfaisante s’installe dès lors que nous les rencontrons.
Musique :
Le trille d’un oiseau.
Jouissance effarée du vide en soi.
Qui d’autres que les artistes ou les écrivains pour satisfaire ce besoin de beauté et de profondeur ?
« Il n’est pas à la beauté d’autre origine que la blessure, singulière, différente pour chacun, cachée ou visible, que tout homme garde en soi, qu’il préserve et où il se retire quand il veut quitter le monde pour une solitude temporaire mais profonde... » (Jean Genet – L’atelier d’Alberto Giacometti – L’Arbalète éd. 1963)