Le bigorneau
Très commun, le bigorneau s’adapte aux conditions ambiantes dont il se satisfait.
Plus la marée est basse, plus il s’accroche à son rocher. Demeurer en place est alors son unique horizon.
Le bigorneau ne s’aventure jamais en haute mer, il se déplace autour de son caillou et cela lui suffit. Quand une anfractuosité lui convient, il s’y attache.
Bigorneau normal parmi les bigorneaux, dit-il. Ce faisant il n’intéresse pas grand monde, mais cela lui importe peu.
Il sait qu’un jour une vague plus forte que les autres le balaiera, à moins que ce ne soit un pêcheur solitaire qui vienne le cueillir pour le consommer en famille.
L’essentiel pour lui est de durer autant que le permettent les règles maritimes les plus élémentaires. Il n’a aucun désir d’innover en quoi que ce soit. Il s’adapte sans jamais s’aventurer hors de son espace traditionnel.
Le bigorneau ne remet jamais rien en question, c’est bien connu.
C’est comme ça. Il ne peut pas aller contre sa nature immuable de mollusque à coquille spiralée. Il connait son destin et s’en accommode.
Comme les bigorneaux vivent en colonies, malgré sa myopie et peut-être à cause de sa surdité, il a les yeux fixés sur ses congénère, hanté qu’il est de voir l’un d’entre eux prendre quelque initiative menaçant la stabilité de la colonie, à laquelle il tient d’autant plus qu’elle s’amenuise.
De temps à autre il laisse échapper une mini bulle d’oxygène. Dans cette bulle les experts conchyliculteurs tentent de discerner un signe à interpréter. Ils constatent que le plus souvent elle ne contient rien d’autre qu’elle-même.
Le bigorneau économise sa respiration, comme ses pensées.
A vrai dire, la question se pose de savoir si le bigorneau possède ou non une pensée.
Les avis les plus autorisés penchent en général pour la négative.