Le coût du travail
Aujourd’hui, on nous rebat les oreilles des problèmes soi-disant liés au coût du travail et aux charges sociales. Des thèmes récurrents, comme si employer des personnes équivalait à une sorte de malédiction qu’une « saine » gestion assortie d’une profonde remise en cause du droit social permettrait d’éviter.
Alors que le chômage demeure puissamment installé, la priorité est de venir en aide aux entreprises souvent dirigées par de véritables héros, comme le Président d’une grande banque, homme averti s’il en est, l’a récemment déclaré.
Les salariés de l’usine Smart, en Moselle, qui ont accepté de travailler 39 heures payées 37, ont parfaitement compris l’aveuglante évidence de cette problématique nouvelle. Les braves gens !
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Où est le temps de l’immédiate après-guerre, pendant lesquelles l’homme était déclaré le capital le plus précieux de l’entreprise (sic) ? (Les années cinquante virent paraitre l’étude magistrale de Georges Friedmann « Le travail en miettes », après « Problèmes humains du machinisme industriel » - 1946).
Dans le milieu des entreprises on parlait de relations humaines et non de ressources humaines.
Les firmes connaissaient des Directions et des Services du Personnel, et non des Directions des Ressources Humaines (DRH, sigle effrayant à tête de Méduse, plein d’aspérités).
Stages, séminaires de formation (conduite de réunions, méthodes de travail en groupe...), équipes de simplification du travail (SDT), cercles de qualité, implication des personnes, faisaient florès. L’exemple venait en grande partie des États-Unis, qui avaient mis l’accent sur l’importance du facteur humain au moment où l’effort de guerre exigeait une mobilisation totale des compétences et des énergies.
L’homme n’était pas de trop, il était considéré, son engagement était nécessaire à la réussite globale. A l’évidence, les employeurs n’étaient pas des philanthropes, ils savaient qu’ils avaient besoin de l’adhésion de leurs collaborateurs et ils agissaient en conséquence.
Le développement technique ne rendait pas encore les salariés quasi superflus, le capitalisme se fondait encore largement sur la valeur ajoutée par le travail.
L’homme était indispensable, il n’était pas devenu une simple ressource élémentaire, au même titre qu’une quelconque matière première ou un apport d’énergie primaire.
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Depuis, la robotique et l’emprise des technologies nouvelles, l’une et l’autre avec leurs conséquences hallucinogènes, ainsi que la financiarisation devenue l’étoile du berger, ont entrainé le cynisme et le mépris. Fabriquer de l’argent s’est instauré en nouvel impératif catégorique kantien, l’alpha et l’oméga de la réflexion entrepreneuriale.
Rares, très rares, sont les cas où le coût du travail pour les salariés, avec son angoisse permanente conduisant parfois au suicide, sont évoqués. Les conséquences sociales de cet état de fait sont allègrement passées sous silence. Il est vrai qu’on ne fait pas d’omelette sans casser d‘œufs...
L’humain est désormais de trop, l’éviter, l’ignorer, vont de soi, question de salubrité économique. Il n’est plus d’alternative, où est le problème ?
Il faut vivre avec son temps, n’est-il pas vrai, ma bonne dame ?
Ceux qui regimbent ont tort, ils ne se soumettent pas à la Loi qui veut que les détenteurs du Pouvoir économique n’ont de compte à rendre qu’à eux-mêmes. On ne saurait impunément déchirer une chemise directoriale. Ni l’angoisse ni le désespoir ne constituent des circonstances atténuantes. Dura Lex, sed Lex.
Dans quel monde vivrions-nous si nous devions tolérer l’intolérable ?
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Bientôt des élections, quelques mois c’est bien peu.
« Garçon, remettez-nous ça... La même chose... C’est ma tournée ! »