Que se passe-t-il sur Terre depuis au moins un quart de millénaire ?
C’est un des titres de la collection Points des éditions du Seuil, catégorie Histoire (320 p., 9,50 €). Deux auteurs associés, historiens-chercheurs enseignants à l’EHESS, Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz. Le titre : L’événement Anthropocène – La Terre, l’histoire et nous.
Première édition, octobre 2013 ; deuxième édition mise à jour, mai 2016.
Rigoureux, solidement documenté, clairement argumenté, l’ouvrage mérite d’être abondamment diffusé tant son appel à la prise de conscience de faits indubitables, et à la réflexion personnelle est puissant.
Cette présentation se limite volontairement à la première partie du livre, qui pose les données essentielles du propos. Puisse cette évocation des pages initiales - « Première partie : Ce dont l’Anthropocène est le nom » - susciter chez le lecteur l’envie d’aller plus loin en se plongeant dans l’intégralité des développements.
Nous sommes tous concernés, il est urgent de savoir. Il est urgent de regarder la réalité en face.
L’Anthropocène est encore un mot étrange, sinon totalement inconnu pour beaucoup.
Il désigne notre époque et notre condition.
Nous vivons une époque géologique nouvelle fruit de notre histoire humaine et de notre relation avec la Terre. Ce que nous vivons, réchauffement, pollutions, climats déréglés, intensification des risques et des catastrophes naturels, correspond à une révolution géologique d’origine humaine engendrée par l’ère industrielle. L’humanité est ainsi devenue une force géologique majeure (altération de l’atmosphère par des rejets inconsidérés, appauvrissement du tissu vivant par des molécules chimiques de synthèse).
L’opposition entre un passé aveugle et un présent susceptible de clairvoyance n’est qu’une fable servant à dépolitiser l’histoire de l’Anthropocène, en tentant de rassurer pour maintenir les équilibres économiques institués.
Certains proposent de faire débuter ce nouvel âge géologique en 1784, date du brevet de James Watt sur la machine à vapeur, et de la carbonification de l’atmosphère.
Pour d’autres, l’Anthropocène coïncide avec la conquête européenne de l’Amérique. D’une part, unification des flores et faunes de l’Ancien et du Nouveau Monde bouleversant les répartitions biologiques des formes de vie séparées 200 millions d’années auparavant avec l’ouverture de l’océan Atlantique. D’autre part, effondrement démographique amérindien (guerres de conquête, maladies infectieuses importées, travail forcé) entrainant une immense reforestation du continent américain faisant chuter la concentration de l’atmosphère en carbone.
L’entrée dans la société thermo-industrielle fondée sur les énergies fossiles n’a fait qu’accentuer les choses, si bien que « la Terre opère actuellement sous un état sans analogue antérieur. »
« C’est notre propre modèle de développement, notre propre modernité industrielle qui, ayant prétendu s’arracher aux limites de la planète, percute celle-ci comme un boomerang. »
Tout cela impose de repenser la « crise environnementale » et d’en finir avec le « développement durable », trompeuses figures de style.
Parler d’écosystèmes, d’environnement, de développement durable, revient à considérer la nature comme essentielle, mais séparée de nous. Aucune limite sérieuse n’est posée à la sacro-sainte croissance chère au monde économique orthodoxe comme au politique.
Le concept d’Anthropocène conteste cette dichotomie. « Au lieu de l’environnement, il y a désormais le système Terre ». Loin de devenir maîtres et possesseurs de la nature, nous sommes pris « dans les immenses boucles de rétroaction du système Terre (...) et l’Anthropocène est un point de non-retour ». Les nouveaux états porteurs de très graves dérèglements que va connaître immanquablement la Terre la rendront de moins en moins habitable par les humains. « Les traces de notre âge urbain, industriel, consumériste, chimique et nucléaire resteront pour des milliers, voire des millions d’années, dans les archives géologique de la planète ».
Nous sommes en train d‘effectuer un effarant saut dans l’inconnu.
« L’Anthropocène s’annonce violent. »
Habiter autrement la Terre est devenu l’enjeu central. « Les scientifiques peuvent éclairer ces questions, les réponses sont forcément politiques (...) L’Anthropocène est politique en ce qu’il implique d’arbitrer entre différents intérêts, entre divers forçages humains antagonistes sur la planète, entre les empreintes causées par différents groupes humains (classes, nations), par différents choix techniques et industriels, où entre différents modes de vie et de consommation. Il importe alors d’investir politiquement l’Anthropocène pour surmonter les contradictions et les limites d’un modèle de modernité qui s’est globalisé... »
Réintégrer la nature dans l’histoire s’impose.
Pour cela, entre autres, il faut repenser les règles morales régissant les rapports entre humains et non-humains. La question des droits de la nature est à explorer, de même que celle des rapports entre nature et souveraineté.
L’Anthropocène remet ainsi en cause la définition même de la liberté, longtemps pensée en opposition avec la nature.
Des questions fondamentales :
- Comment refonder la démocratie quand disparait le rêve de l’abondance matérielle ?
- Comment penser désormais la politique ?
- Quelles politiques territoriales et de sobriété énergétique envisager ?
- Comment ouvrir de nouveaux espaces de démocratie participative ?
- Comment analyser et évaluer l’exposition d’autrui aux nuisances et catastrophes naturelles ?
Des pistes, des constats, des analyses, des interrogations en relation avec ces premiers aperçus font le corps du livre. Qu’aussi nombreux que possible soient ceux qui auront envie de le lire.