Tarte à la crème
Holà, les mots vous êtes en grande souffrance, prenez garde à vous !
Culture, culturel, mots éculés, dénaturés, enveloppes vides prêtes à recevoir n’importe quoi. Tellement usés, râpés, démonétisés, qu’on ne sait plus de quoi on parle en les employant.
Mais, leur pitoyable mine, leurs guenilles, n’enlèvent rien à leur prestance, ils conservent la trompeuse allure des hidalgos ruinés.
Les prononcer, en persiller le discours, s’en gargariser à gorge déployée, confèrent une aura au moindre freluquet.
La pacotille verbale est un picotin recherché par qui est soucieux d’un bon profil.
Vive la tarte à la crème si appréciée de tout bateleur et autre éleveur de lieux communs.
Alfred Korzybski (sémantique générale) : Le mot n’est pas la chose. La carte n’est pas le territoire qu’elle représente.
- Pourquoi faudrait-il que la parole ait un sens ?
Rabat-joie que vous êtes, alors qu’on vous propose les jeux les plus divers !
Consommez et réjouissez-vous !
Il a suffi qu’un brillant provocateur bouscule la fourmilière en proclamant Tout est art pour que prolifère quelques décennies plus tard une multitude congénitale et permanente d’inventeurs de l’eau chaude. Pourquoi dès lors Tout ne serait-il pas aussi culture ?
Loi de l’érosion langagière, du rabotage mental, et de la banalisation récupératrice : Tout est dans tout, et réciproquement.
CQFD.
Capitale de la culture
Services culturels
Ministère de la culture (à vrai dire des Affaires culturelles)
Offices de la culture
Cultivons, cultivons
Encultivons-nous
Cuculture et tarte à la crème
Gai, gai,
Pirouette, cacahuète !
- Tout ceci est bien bon, mais qu’en est-il de la Culture ?
- Holà, Messire, vous me la baillez belle, de la Culture sans doute au mieux saurai-je dire ce qu’elle n’est pas...
Chacun sait depuis Montaigne qu’une tête bien pleine n’est pas nécessairement bien faite. (Le Dr Josef Mengele et ses petits camarades de jeu ont largement confirmé ce constat au délicieux XXe siècle.)
- Ce qui signifie que le Savoir ne saurait se confondre avec la Culture, qui serait développement des facultés intellectuelles d’une personne ou d’un ensemble sociétal. En ce sens il conviendrait de s’interroger sur les domaines considérés comme nécessaires au partage d’une vie aussi harmonieuse que possible. C’est-à-dire sur ce qui élève.
Il conviendrait dans le même temps de s’interroger sur la notion de culture de classe, qui relèverait davantage du maintien d'une tradition au sein d'une caste.
- Ce qui signifie de surcroit que recettes bien apprises et spécialisation professionnelle ne sont pas de l’ordre de la culture, mais de respectables pratiques opératoires particulières accédant parfois au stade de l’excellence.
Ainsi apparait clairement comme abus de langage, détournement et foutaise, ce Tout culturel qui voudrait récupérer les savoir-faire et les traditions artificiellement invoquées en les couvrant d’un badigeon hâtif, racoleur et invalidant. Outil efficace d’un enfumage obscène maintenant sous le boisseau le plus grand nombre.
Totalement insensé de prétendre qu’un feu d’artifice, une transhumance simulée, un match de football, des graffitis, la maitrise culinaire, s’apparentent au culturel. La tromperie sur le langage est évidemment une atteinte grave au respect de l’Autre. L’amorce d’un processus totalitaire méprisant.
Utopie, chantiers à venir :
- Il serait bon de cesser d’employer à tout propos ces chevilles émasculées, éviscérées : culture et culturel.
- Il serait bon de développer des activités consacrées à la rencontre des arts (et non des succédanés), en leur accordant une part significative dans les programmes d’enseignement, en soutenant et en valorisant publiquement les actions professionnelles et associatives allant dans ce sens.
Jean Vilar et le théâtre National Populaire, Armand Gatti, sa vie trépidante et son œuvre immense.