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Epistoles-improbables - Blogue-notes de Jean Klépal

La cantatrice chauve [1]

21 Décembre 2019 , Rédigé par Blogue-note de Jean Klépal Publié dans #Eugène Ionesco, La Cantatrice chauve, Théâtre de l'Absurde, Dette, Mondialisation, Mal de Naples, Gilet jaune, Gilet rayé, Trêve

Personnages : M. et Mme Toulemonde ; Mme et M. Chacun : la Bonne ; Cristobal de la Castagne, capitaine des pompiers.

(La pendule sonne les douze coups de midi, heure d'été.)

- Tiens, il est enfin l’heure, l’heure heureuse de la retraite.

- Ah, la retraite de Russie, quelle belle époque ! J’aime beaucoup le caviar aux lentilles. Il parait que le marchand de fripes du coin en a des stocks.

- Il y a une chose qui me surprend.  Pourquoi parle-t-on toujours de transparence alors que l’atmosphère n’a jamais été aussi opaque ?

- A Pâques ou à la Trinité, il sera toujours temps de se poser la question, mais la station Trinité est fermée à cause des grèves. Il est vrai qu’il n’y a plus à Paris que deux lignes de métro, comme à Périgueux-lès-Deux-Alpes.

- Tiens, je l’ai entendu à la télé, il parait que Ferdinand Doublevoye est mort depuis deux ans et demi, il a d’ailleurs démissionné avant-hier.

- Pour quelle raison ?

- Une mémoire défaillante et trop de fautes d’orthographe.

- Bonjour, je suis la bonne, j’ai passé une journée très agréable, j’ai manifesté d‘un cortège à l’autre. J’ai joué à saute-cortège en quelque sorte. L’air était pur et délicat, lacrymogène partout, un vrai délice. On en pleurait de joie.

- C’est vrai, la presse en a parlé. Elle a rapporté aussi qu’il y avait peu de monde, tout juste des centaines de mille, un peu plus d’un million.

- Elle exagère, c’était beaucoup moins. La presse ment toujours. C’est un besoin congénital et permanent chez elle. Rappelez-vous : « Radio Pari ment, Radio Paris ment, Radio Paris est allemand ».

- Vos invités sont à la porte, ils m’ont dit avoir rendez-vous à l’Hôtel Maquignon.

- Parfait, c’est ici, nous ne les attendions pas si tôt Qu’ils défilent d’abord !

- Je m’en vais le leur dire. Au fait quel itinéraire leur indiquer ?

- De Dunkerque à Tamanrasset, comme d’habitude.

- Bon, c’est bien, entrez maintenant, mais ne restez pas trop, cinquante minutes au maximum. Il n’y a jamais assez de place pour tout le monde. Ma porte est ouverte, fermez la fenêtre.

- Tiens, on sonne, c‘est sans doute le capitaine des pompiers.

- Bonjour, je suis Cristobal de la Castagne, capitaine des pompiers, expert en déclenchement d’incendies volontaires. Si vous aimez les desserts, j’ai des caisses de grenades à votre disposition. Si vous le voulez, je peux vous conter des histoires.

- Oui, oui, tout de suite !

- Voilà c’est l’histoire de l’âne, de la retraite, et du p’tit veau de soixante-quatre ans…

- Celle-là on la connait, c’est une fable. On en veut une qui vient à point.

- Tout dépendra de la valeur du point, alors parlons plutôt de l’Odette et de ses évasions fiscales.

- On la dit incontinente. Maudite soit la dette de l’Odette !

- Traversez la rue, vous trouverez tout ce dont vous manquez. Changer de trottoir pour changer de vie. Hop, à saute-ruisseau.

- Comme c’est étrange, ça me rappelle une histoire vécue.  Trop banal, autre chose ?

- Non, je n’en peux plus d’attendre mon heure, et puis j’ai une soudaine immigraine, j’ai attrapé un virus lors d’un séjour trop prolongé dans les pays du Sud. Au retour, j’ai voulu me baigner en Méditerranée, ça m’a été fatal.

- Le mal de Naples, sans doute.

- Excusez-moi, j’ai moi aussi une anecdote à vous raconter.

- Quel toupet, elle demande la parole, une femme seule, mais où va-t-on ? Ça n’est pas chez-nous, avec des gens normaux, qu’on verrait ça.

- Voilà, c’est l’histoire de gens qu’on laisse mourir à petit feu…

- Assez, assez,  c‘est obscène. Halte à la vulgarité de la violence populaire !

- Il faut que je parte, le devoir m’appelle, je dois réaliser d’ici ce soir mon rêve, mon idéal de mondialisation, tout chiffrer, tout contrôler, tout soumettre. Je vous quitte.

- N’oubliez pas votre gilet. Non, ne prenez pas le jaune, gardez celui qui est rayé.

- Et la trêve de Noël dans tout ça ?

- Elle aura bien lieu, les sévices spécialisés s’occupent en haut lieu de décider du moment le plus opportun pour Noël. Rien ne presse. Il faut que cette fête s’adapte et devienne mobile, question de flexibilité.

- Peut-être matière à référendum ?

- Pour quoi faire ? C’est comme ça et pas autrement. Rien ne sera changé, rien ne sera modifié, vous pouvez librement débattre des modalités.

(La pendule sonne les douze coups de minuit, heure d’hiver. Rideau, fin du pastiche.)

« TOUS  ENSEMBLE

C'est pas par-là, c'est par ici, c'est pas par-là, c'est par ici, c'est pas par-là, c'est par ici, c'est pas par-là, c'est par ici, c'est pas par-là, c'est par ici, c'est pas par-là, c'est par ici ! » (E. Ionesco - La Cantatrice… - tableau final)

 

[1] Très librement inspiré d’Eugène Ionesco, auteur emblématique du Théâtre de l’Absurde. « La cantatrice chauve » fut créée au Théâtre des Noctambules, à Paris, le 11 mai 1950.

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A
Tout ceci est rondement carré. Félicitations Jean. J'en triangule avec Pythagore. <br /> <br /> Par contre, je n'ai toujours pas compris : c'est par où? Cette nuit, je viens de faire quatre fois le tour de la Terre, à la recherche, coûte que coûte. Je suis fatigué maintenant. Ouste, je reviens me coucher, et je recommence.<br /> <br /> " Prenez un cercle, caressez-le, il deviendra vicieux ! " Eugène Ionesco, La cantatrice chauve.
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B
Selon Woody Allen, Isocèle a pu surprendre Pythagore en lui déclarant : "J'ai une idée pour un nouveau triangle".