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Epistoles-improbables - Blogue-notes de Jean Klépal

Au bénéfice de l'âge

20 Juillet 2020 , Rédigé par Blogue-note de Jean Klépal Publié dans #Âges, vieillir, compromis, refus, jardiner

 

L’âge, c’est certain, possède quelque mérite. Il apprend patiemment comment accompagner le bref moment de transition qu’est la vie, eau bondissante impossible à retenir. De la source à l’embouchure l’eau apporte clarté, joie et bienfaisance, elle entraîne vagabondages, mais aussi érosions, dégradations et embarras divers. Rien ne la contraint car elle est mouvement irrépressible. L’âge confère à coup sûr sa part de jouissance à qui sait tranquillement en reconnaître les mérites. La perte établit des équivalents dans la découverte de soi et dans les capacités d’accueil ou d’adaptation qu’elle révèle. L’âge comme révélateur absolu de soi-même, comme explorateur attentif de limites inatteignables. L’âge pour faire le plein en se désencombrant du superflu et parvenir à l’horizon liquide de l’universelle fusion ultime. Là où l’Un se dissout dans l’inconnaissable. Accepter très progressivement de se perdre, sans se soucier de l’après individuel. Cet après n’importe pas plus que l’amont. Il ne possède pas davantage d’existence. Place aux suivants, à chacun son tour. Essayons au moins de leur céder un terrain de jeu à peu près présentable. S’il est encore temps.

Contre l’inéluctable, regretter ? Stérile.

Se révolter ? Idiot.

Gémir ? Indigne.

Alors ? Accompagner la vie, faire le plus possible bon ménage avec elle. Elle mérite une certaine considération. Il n’est jamais bon de sous-estimer son partenaire.

Il arrive toutefois que la prise de conscience de l’existence d’un des multiples obstacles apportés par l’âge, oublieuse de ce que furent les handicaps de la jeunesse pour ne retenir que sa forfanterie audacieuse, induise une modification notable des comportements de personnes entrant tout à coup dans un nouvel espace engendré par la représentation qu’elles se font soudain de ce qu’elles deviennent. Admettre et accompagner le changement progressif ne va pas de soi lorsqu’il s’agit de modifications profondes d’habitudes, de déplacements de valeurs, de rejets de relations antérieures, d’amertumes, de regrets, de fixations, d’attirances insoupçonnées, de phobies ou de manies.

Peut-être rencontre-t-on là un phénomène de domestication progressive tel que perte d’identité, soumission à un statut social imposé (retraite, troisième voire quatrième âge, carte senior, aléas de santé) et sentiment de dépendance. Quiconque se laisse domestiquer est un mort vivant, un robot, un zombie.

Se profile un déni de réalité, si fréquent dans les rapports humains. La lutte pour l’affirmation de soi, pour refuser l’aveuglante clarté de faits inadmissibles puisque imparables, construit çà et là des attitudes dérisoires nourries de l’amplification biaise d’indices mineurs. Il suffit parfois d’une phrase, d’un mot voire d’un simple geste, isolé de son contexte, monté en épingle pour faire surgir une querelle rédhibitoire entre amis de longue date.

Tenter de prévaloir en toute occasion, de s’affirmer sans contestation possible, réputer nulle toute objection, tout avis différent, est non seulement ridicule, mais aussi et surtout pathétique. Rien n’est pire en cette matière que l’affirmation par le sachant du savoir qu’il se prête à lui-même. Ipse est le pire ennemi d’Alter.

La désolante panoplie de l’ego et de la mauvaise foi partisane peut se décliner en querelles intestines, affrontements d’écoles, bannissements et excommunications diverses dont l’histoire de la psychanalyse  possède le secret.

Naufrage absolu auquel sont opposés des slogans, comme autant de bouées inutiles.

L’un d’entre eux, démocratie, vient à l’esprit, usé jusqu’à la corde, convoqué à tort et à travers, cache sexe commode d'une multitude de déviances : Démocratie, et pourquoi pas ?

Pourquoi l’utopie devrait-elle souffrir de ses mésusages ? Essentiel de saisir ce qu’elle comporte d’indispensable modestie pour se laisser invoquer.

Combien il faudrait de modestie pour parvenir à ne pas bannir l’autre à tout propos.

 

A quoi bon la discussion et les combats d’idées, si les points de vue sont si éloignés qu’ils dessinent des territoires bornés de frontières étroitement surveillées ? Dans ce cas, les illusions de savoir que sont les opinions n’entretiennent qu’une succession de monologues en forme de pétitions de principes nourries de préjugés. Quand un mur existe, l’ombre portée en permanence ne permet pas l’entretien de parterres diversifiés, les plantules s’étiolent de part et d’autre. Alors, le repliement sur soi et l’évitement silencieux transportent leur venin.

Faire comme si est une source d’insatisfaction certaine.

Rompre ou ignorer, seules réponses  convenables pour éviter de ridicules affrontements, de douloureux déchirements ; inutile de s’acharner et de dépenser en vain son énergie. Insister ne peut qu’enraciner les différences.

Cela pose gravement la question de l’entretien possible de relations vraies lorsque sont en jeu des valeurs fondamentales, même avec des proches. Détestables ces échanges tissés d’évitements et de silences complices. S’abstenir vaut mieux qu’une succession de petits compromis pathogènes.

Simplement prendre acte, et faire silence.

 

 

 

Il suffit parait-il de quelques mois pour qu’une personne démunie et sans ressources au point de se trouver à la rue s’abîme dans l’ignorance non seulement des autres mais de soi-même. Cela irait jusqu’à l’oubli de son identité, à la perte de toute notion corporelle et à l’abolition de la volonté. Les quelques tentatives d’accueil dans des centres d’hébergement et d’aide à la réinsertion progressive, sont d’autant plus difficiles, sinon dérisoires, que l’érosion de l’individu est profondément engagée. Imaginer la rapidité avec laquelle quelqu’un peut entrer dans le monde infernal de l’exclusion est proprement terrifiant. Ainsi se constitue une décharge publique disséminée en tous lieux, qu’élaborent les monstrueux prédateurs de notre société de l’extrême.

Qui est, qui fut, cet homme que je vois de temps à autre allongé à un angle de rue, coincé entre un muret et la vitrine d’un agent d’assurances, cette masse informe tenant moins d’une personne que d’un amas de chiffons  et de détritus abandonnés là par quelque passant incivique ? Qu’est-ce qui m’empêche de lui adresser un regard, de tenter un geste, une parole, sinon la peur que m’inspire sa situation ? La seule image de son existence m’est insoutenable. Muette, elle clame notre impuissance et notre lâcheté, la mienne notamment. L’épouvantable irréalité de la réalité de cet homme, mon semblable, souligne le désintérêt collectif pour qui a le tort d’avoir décroché. Il est tellement là que plus personne ne le voit. Juste un léger détour pour l’éviter. Comme en Inde, on évite l’immonde social.

A l’opposé, à l’autre extrémité de la chaîne, les prédateurs. Dirigeants de multinationales apatrides ainsi qu’hommes et femmes politiques, tellement a-humains. La connaissance et les sentiments leur manquent terriblement. Effrayants professeurs Nimbus, marionnettes robotisées, on les voit se balader, parachute doré strictement ajusté, de conférence en conférence, de meeting en meeting, affirmant leur volonté de réussite personnelle, leur foi en leur destin, visitant des chantiers, des ateliers, des halles commerciales, des entrepôts, serrant des mains, se risquant parfois à emprunter quelque transport en commun le temps d’une photo. Ignorants, ils ne savent rien des univers qu’ils parcourent au pas de charge, escortés d’une nuée d’insectes nauséabonds armés d’antennes, de caméras ou de téléphones mobiles. Ils ont un avis sur tout, rien n’échappe à leur sapience. Clones décérébrés, on leur écrit tous leurs discours. Ils sont à l’abri. Véritables malades mentaux, ils n’ont qu’un but perpétuer et amplifier leur emprise sur un monde qu’ils détruisent en permanence. Ils pérorent sur la vraie vie, les vrais gens, les valeurs, bref sur tout ce qu’ils ignorent avec superbe.

 

Ailleurs… Les jardiniers de la vie.

 

Ceux qui binent le réel

Ceux qui sarclent les combines

Ceux qui savourent les simples

Ceux qui cohérents et authentiquent

Ceux qu’éblouit l’ignorance

Ceux qui honorent le différent

Ceux qui échappent

Ceux qui cherchent

Ceux à qui on ne la fait pas

Ceux qui refusent

Ceux qui jouissent de l’insoutenable poétique

Ceux qui rêvent un autre monde

Ceux qui aiment

Ceux qui amis nombreux

Ceux qui gais et joyeux

Ceux qui triment et partagent

Ceux qui se délectent

Ceux qui à la tienne Etienne

Ceux qui donnent la main

Ceux qui écoutent

Ceux qui s’étonnent

Tous ceux qui ne s’en font pas une gloire

 

 

Accepter le moindre compromis ne peut être que mortifère.

 

 

Dire non pour l’espoir

Dire non pour la liberté

Dire non pour clamer le vrai, le juste, l’authentique

Dire non pour l’honneur

Dire non pour ouvrir, penser, créer

Dire non pour révéler

Dire non pour fonder, prendre appui

Dire non pour la clarté, l’exigence

Dire non pour chercher, pour comprendre

Dire non à cœur déployé

Dire un non fier et joyeux, un non debout

 

L’humour toujours dit non

 

Dire non, geste politique

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M
Ai eu beaucoup de plaisir à relire ce vieux texte immortel.<br /> La vie un court passage entre le rien et le rien. J'aime.
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A
Jean, bonjour.<br /> <br /> Je reconnais là votre démarche par delà les chemins de la vie. Votre signature. Lignée -dans les pas- de glorieux "humanistes", Sénèque, Michel de Montaigne, Etienne de La Boétie...<br /> <br /> Il me semble que l'important n'est pas en tant que soi le chemin mais la démarche sur ce chemin. C'est une généreuse leçon d'existence, de présence, que vous nous donnez par ce texte qui en continue d'autres, disponibles sur votre blogue. Il faut avoir du courage, une probité chevillée à la volonté, un orgueil maîtrisé pour se livrer et partager de son expérience sans ne rien imposer.<br /> <br /> Pour tout cela, merci Jean.
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M
Merci!
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C
L'important, même avec l'âge, c'est de conserver la volonté de s'indigner recommandé par Stéphane Hessel . Il semblerait que cette qualité s'émousse actuellement .
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D
Dire non geste politique qui humanise ! Que les prédateurs soient des prédateurs ce n’est pas le pire, le pire, de mon point de vue, est la complicité qu’ils obtiennent et qui leurs permet de poursuivre leurs méfaits ! Ainsi va la vie mais nôtre travail de mammifère humain, me semble, au moins de dénoncer les mécanismes a l’œuvre !
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