Ecrire l’Art Contemporain
Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.
(Nicolas Boileau - L’Art poétique 1674)
L’Art Contemporain (AC) est l’alpha et l’oméga des milieux professionnels de la profession, les officiels officiants s’emploient à le rendre incontournable, avec l’aide assidue d’un ancien Ministre de la Culture au service de spéculateurs hors pairs. Jef Koons tête de gondole , sonnez trompettes, battez tambours ! Hors l’AC, point de salut, clament ses thuriféraires. Si tu veux exister en tant qu’artiste, si tu espères l’amorce d’une once de reconnaissance publique assortie d’une aumône, fais-toi illico disciple soumis de l’AC, enjoint la cléricature des FRAC et galeries pseudopodes associées.
L’examen de textes émanant d’institutions officielles peut contribuer à dégonfler la baudruche prétentieuse d’une cérébralité caporaliste. Ainsi cette présentation d’une exposition à laquelle vient de participer une artiste dont je tiens le travail en grande estime. L’auteur directeur d’une prestigieuse galerie d’art contemporain à Marseille, est enseignant à l’Ecole des Beaux-Arts de Toulon.
Le cuistre commence par s’interroger sur le titre même de l’exposition pour signaler le « préalable métaphorique » qu’il constitue. Il cite alors l’un de ses homologues qui « interroge le fait esthétique emblématique du début du XXIe siècle initié au tournant des années 1980 quand s’engageait la théorisation du postmoderne en tant que synchronisation des processus historiques caractérisés par un rapport renouvelé au passé et à l’histoire ». Le ton est donné, la liste des citations propres à conférer un aspect pseudo-savant à l’ensemble du papier est ouverte. Suivent cinq pages de logorrhée sur le rapport au temps, à la « relation dialogique qui prémunit le passé de l’écueil nostalgique ». Il est question d’un certain « renouvellement du rapport au passé, (d’une) temporalité tierce qui échapperait simultanément à la linéarité du récit cinématographique ou romanesque ainsi qu’à la phénoménologie du temps présent/de la présence propre à l’art des années 1960 et 1970. » Etc., etc.
Dans le cas du rédacteur du papier incriminé, nous sommes en présence d’un symptôme d’énurésie méningée fruit du dépérissement fatal d’un organisme à bout de souffle prêt à toutes les compromissions pour survivre.
Il s’agit de se faire valoir et de mater les esprits pour régner en maître. Le discours est uniquement fondé sur la nécessité et l’entretien d’une plus-value permanente dont la notion d’art, érodée, bafouée, vidée de toute substance, est en l’occurrence le prétexte.
La langue est malmenée, comme la syntaxe et le vocabulaire, elle est détournée au bénéfice d’une prise de pouvoir dictatoriale en faveur d’une pensée unique, donc de la soumission au démantèlement d’une société de partage et d’intelligence. Le jargon agit à la fois comme un cordon sanitaire de l'entre-soi et un outil d'asservissement. Le déclin, la fin d’un monde, sont clairement annoncés. Il n’y a plus grand-chose à dire, encore moins à inventer par un système en fin de vie. Les notions d’universel, de sacré, de sublime, sont périmées. Le cynisme de la pédanterie grotesque rend tout partage impossible.
Non, décidément non ! Morandi plutôt que Mondrian. La vie en sa diversité sensible plutôt que la sécheresse mortifère de l’intellect réduit à lui-même.
Face aux injonctions normatives des gredins des réseaux du ministère de tutelle et à l’imperium financier d’une poignée d’agioteurs uniquement préoccupés par lémarchés, les tenants d’un art sensible, ancré dans une longue histoire, porteur d’une pensée qui bouscule et ouvre sans étouffer ni soumettre, sont réduits à la portion congrue. Nombreux, présents sur l’ensemble du territoire, de valeurs inégales mais très souvent sincères et authentiques, ils méritent une attention soutenue. Il faut aller à leur rencontre, les détecter, les encourager, écouter ce qu’ils ont à nous dire, considérer ce qu’ils nous montrent. Nous avons besoin les uns des autres en cette période de déclin, si difficile à vivre.
« Ecrasons l’infâme » s’exclamait Voltaire, en des temps où l’obscurantisme filait déjà bon train.