Note de lecture (12) - André Chastel
Serge Plagnol m’a signalé la sortie toute récente en librairie de deux courts textes d’André Chastel, célèbre historien de l’art disparu en 1990.
Lecture faite, ils méritent le détour pour qui s’intéresse de près à l’art.
- L’Italie, musée des musées (inédit) éd. Liana Lévi, 61 p., 5 € ;
- Le tableau dans le tableau (reprise de deux études publiées en 1978) Flammarion éd., 100 p., 24 ill. n & b, 8 ill. couleur, 10 €.
A partir d’une réflexion sur les différences entre la possession privée et secrète, celle du collectionneur conservant précieusement son trésor personnel, et la possession publique des œuvres qui abondent aussi bien dans les églises ou les palais que partout dans les villes et bourgades d’Italie, le premier de ces textes examine avec pertinence ce qui fait de l’Italie « le lieu par excellence du musée naturel » et lui confère le « privilège historique de la continuité ». C’est en Italie que « le soin mis au décor des cités … (conduisit) à traiter l’organisation urbaine comme une œuvre d’art » en permettant que la collection privée finisse par s’emboiter de manière exemplaire dans des édifices remarquables transformés en musées au sein de chaque cité.
Il est assorti d’un bel hommage au précurseur des historiens de l’Art, Giorgio Vasari.
Le second ouvrage traite dans sa première partie du passage de la consécration du réel à la subjectivisation radicale de la peinture.
A partir de la pré-Renaissance apparaissent les motifs récurrents du miroir, de la fenêtre ouverte et du tableau dans le tableau, commentaire de l’œuvre qui va évoluer peu à peu vers un éloge de l’art lui-même. Ceci nous amène à réfléchir sur la relation entre le réel et l’illusion dans la peinture, moyen employé par celle-ci pour proclamer sa souveraineté. Un point culminant est atteint avec L’Enseigne de Gersaint de Watteau, où le monde véritable puise sa grâce de la peinture. Au fil du temps s’instaure une « réfraction poétique » de la nature, voire de la peinture elle-même, notamment avec Van Gogh ou Gauguin, chez qui parfois « le tableau naît du tableau-dans-le-tableau ». Progressivement « le peintre se préoccupe moins de ce qu’il peint […] que du tableau même qu’il peint. »
Si je pense donc je suis (cogito ergo sum) caractérise l’écrivain, je représente donc je suis (fingo ergo sum) définit l’artiste.
La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée au « rôle de la figure dans l’encadrement de la porte », plus particulièrement chez Velásquez qui « sécularise le merveilleux. » Les Ménines sont à l’évidence une somme picturale qui totalise les moyens et les motifs de la peinture et constituent l’aboutissement de l’art de Velásquez. Suit une intéressante réflexion sur les différences entre les flamands et les italiens dans leur manière d’exploiter les percées du décor.
Ces deux ouvrages ont le grand mérite d’illustrer ce que signifie l’apprentissage du regard pour tout amateur épris de peinture.