Marseille, une image différente
Cette ville n’est que villages, à visiter patiemment, à deviner, à déguster. Ses enclaves de silence s'additionnent et se savourent, qu’elles soient calanque, jardin ou parc.
La nature est présente : collines et rochers, mer, plages discrètes, vent du large, oiseaux de mer. Contrainte par la montagne, la cité affronte la mer. Des goélands moqueurs, gabians cousins du mythique Jonathan, survolent les parages. D'un point haut, posés l'instant d'un regard souverain, on entend leurs rires, qui se mêlent à ceux des enfants.
Cette ville si pauvre procède d'un lointain passé dont elle a toujours englouti les traces, elle n'offre que très peu de vestiges. Le souvenir n’est pas son fort. De longue date elle a digéré et réemployé son patrimoine, les monuments ne comptent pas ici. Point de passages, séjour de marchands, lieu d’échanges et de mixité, elle n'a jamais cessé de s'édifier.
Aux encoignures croissent les petites vivaces, à l'abri du regard. Humbles, elles fleurissent le bitume. Laiteron, pariétaire, fausse camomille, pied de pigeon, figuier, misère, lierre, chrysanthème inodore sont quelques-uns de leurs noms.
Comme les dents d'un peigne fin ordonnant les allées et venues, les ruelles voisines, sources jamais taries, drainent le quartier Plaine-Cours Julien et abreuvent l'espace d'une faune colorée, cosmopolite. On se côtoie, on se mêle. Cabotage urbain, chaque terrasse est un ponton. On y accoste un moment, pour se détendre, pour regarder, pour rien, pour être simplement bien, pour repartir bientôt, stimulé.
Passé le surprenant Vallon des Auffes, l’anse de la Pointe rouge abrite une plage très populaire. Il fait bon s’y rendre en fin de journée pour contempler le coucher du soleil bien loin au large. Des couples et des familles sont là. Les enfants s’ébattent, courent, sautent, rient, remuent sable et eau. Parfois un ballon s’égare, on sourit. Le jour décline, des nageurs profitent des derniers moments, des embarcations légères glissent tranquilles. Au loin des navires, deux ou trois, s’acheminent vers le port ou en sortent. D’où viennent-ils, où vont-ils, Maghreb, Corse, ailleurs ?
Le château d’If et les îles du Frioul poussent délicatement leurs premiers feux tandis que l’Estaque enfile son collier de lumières orangées. Notre Dame de la Garde luit, indifférente et lointaine au faîte de son rocher.
Existe-t-il quelque autre endroit en France où l’on puisse dîner en famille à deux pas des premières vagues ?
Nous sommes à Marseille dans le huitième arrondissement. Nous sommes aussi bien en Inde du Sud quelque part vers Trivandrum, là où les gens se rendent pour célébrer le cosmos, pour goûter l’instant, et ressentir un bien-être collectif léger et rassurant.
L’agitation du monde est marginale, presque oubliée. Ici se trouve un territoire humain hors du temps et de l’espace. Nous touchons à la simplicité de l’évidence. Rentrer chez soi en longeant la corniche, goûter la fraîche tiédeur de la brise nocturne, instants réparateurs. Marseille n’est décidément pas une ville.
La mémoire lui importe-t-elle ? Elle se délecte d’un style de vie qui la fait unique depuis les origines.
On devient marseillais sitôt qu’on y arrive ou bien on décampe sans demander son reste.
Partout des tentatives, des espoirs, des projets, des énergies et des frustrations, jamais rien d’abouti. Ainsi va la ville sans souvenir, qui fut un temps « Ville sans nom », digérant sans retenue les traces d’un amont dont elle se repaît, riche d’ambiances colorées, toujours prête à s’inventer, immuable, grouillante d’une incroyable diversité. Ville de coexistences, de rencontres, ville de proximité, ville d’étrangeté totale. Ville de contrastes et d’excès où le tohu-bohu et l’incivilité côtoient sans cesse silence et délicatesse inattendus.
En d’autres lieux on contemple le paysage, ici c’est lui qui nous irrigue, qui nous emplit comme le fait une peinture.
Le bleu du ciel est par-dessus les toits, avec le regard, avec les sourires.