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Epistoles-improbables - Blogue-notes de Jean Klépal

« Ce cauchemar qui n’en finit pas »

22 Juillet 2016 , Rédigé par Blogue-note de Jean Klépal Publié dans #Crise; Gauche; Néolibéralisme;, #Politique; Union européenne

Ce livre vient de paraitre (mai 2016). Sa clarté, la force et la pertinence de ses propos, son thème (comment le néolibéralisme défait la démocratie[1]), en font une référence pour quiconque se préoccupe un tant soit peu de ce qui se joue sous nos yeux, qui nous concerne tous. Il est à recommander à tous ceux qui, fidèles à des schémas obsolètes, pensent encore que le système économico-politique actuel est amendable. A tous ceux qui, nostalgiques, prétendent que ce système, bien cornaqué, pourrait retrouver une dimension supportable, voire bénéfique, comme le fut parfois le capitalisme à l’ancienne. J’ai parfois entendu citer l’exemple de Bismarck au titre de preuve... Pour intéressant que cela soit du point de vue historique, il conviendrait de se reprendre vite et de considérer que nous sommes dans un autre temps, dans un autre monde.

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Ses auteurs, Pierre Dardot et Christian Laval, sont chercheur et enseignants à Paris-Ouest Nanterre-La Défense.

Son titre : Ce cauchemar qui n’en finit pas. La Découverte, éditeur, 248 p., 13,50 €.

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Je dois la connaissance de la parution de ce livre à Alain Sagault, mon complice depuis bien des années, au blogue duquel je préconise de rendre visite (Le globe de l’homme moyen).

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A grandes enjambées :

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L’Introduction pose clairement la question de l’accélération de la sortie de la démocratie à laquelle nous sommes confrontés, notamment par le passage insidieux de la sécurité au sécuritarisme, qui relève du seul arbitraire de l’Etat. C’est ainsi que la raison politique néolibérale insécurise et discipline la population, désactive la démocratie et fragmente la société. N’est-ce pas exactement ce que nous connaissons avec la prolongation de l’état d’urgence, l’affirmation d’une situation de guerre, et l’entretien de la discrimination entre les citoyens ?

Le système néolibéral mondial (...) ne tolère plus d’écart par rapport à la mise en œuvre d’un programme de transformation de la société et des individus. Ce n’est pas le système du parti unique, c’est certainement celui de la raison politique unique. (...) La victoire du néofascisme est maintenant devenue une possibilité avec laquelle il faut compter.

(...) La logique dominante se nourrit des crises (devenues un moyen de gouverner) et ne cesse de nourrir à son tour des « phénomènes morbides » (...) qui entendent asservir la société...

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Chap. 1 – Gouverner par la crise

Le cœur de la démocratie politique est dénaturé par le culte de l’argent et le désir effréné de richesse.

La gouvernance néolibérale par une oligarchie financière induit une opposition farouche à la démocratie entendue comme « souveraineté de la masse », ce qui induit une radicalisation en faveur de la crise, considérée comme mode de gouvernement. Les inégalités s’accroissent, les sacrifices demandés aux plus modestes se multiplient, le marché du travail se délite, les syndicats sont anémiés, la gauche est en miettes, l’Europe se fragmente et se discrédite, la xénophobie se répand, les réfugiés sont de plus en plus nombreux, la fable de la dette spolie des populations entières, et ... la Bourse se porte bien, les paradis fiscaux aussi.

Dans un tel monde, tous les moyens politiques, toutes les stratégies des dominants sont centrés sur l’augmentation de la capacité compétitive ... les logiques du moins-disant fiscal ou social l’emportent ... (tout cela annonce) des formes politiques plus ou moins modernisées du fascisme à la mesure du sentiment d’abandon des populations paupérisées.

La crise résulte des effets désastreux d’une politique de concurrence généralisée, mais (elle permet également de) justifier cette même politique. (...)

La « gauche » a pratiquement tout repris du « logiciel » de droite : (...) donner toujours raison aux revendications du capital et toujours tort à celles du travail.

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Chap. 2 – Le projet néolibéral, un projet antidémocratique

Cet antidémocratisme résulte de la volonté de soustraire les règles du marché à l’orientation politique des gouvernements. La « démocratie » se ramène en fait à une procédure technique de désignation de gouvernants interchangeables.

Le droit privé impose progressivement des limites aux législations en cours, comme aux gouvernements (cf. les traités Tafta et Cie, la mise à genoux de la Grèce, la déclaration de J-C Juncker « il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens » - Le Figaro, 29 janvier 2015).

OCDE, OMC, FMI, Banque mondiale, Commission européenne, sont autant d’agents de coercition.

La politique est « détrônée » et nos gouvernants serviles se soumettent, sans même le moindre souci de sauvegarde des apparences. La post-démocratie est bel et bien en route.

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Chap. 3 – Système néolibéral et capitalisme

Le système néolibéral est inséparable de la mondialisation, c’est-à-dire de l’hyper mondialisation de la finance, de la délocalisation des activités de services, et de la limitation de la concurrence ente oligopoles. La mise en concurrence des salariats, des systèmes sociaux et fiscaux, et des institutions politiques, en procède. Ce qui entraine une limitation de choix et de possibilités tant pour les Etats, que pour les organisations économiques et les individus eux-mêmes. Ce cadre normatif est imposé à la faveur des crises par les pays les plus puissants, et particulièrement aux membres de l’Union Européenne. Il s’agit en fait d’imposer un ensemble de règles définissant un autre type de société que celui que nous avons connu jusqu’à présent. A ce titre, notamment, tout élément de la nature est regardé comme ressource productive. Une formidable mutation dans la manière de gouverner les hommes et les sociétés se met en place (la joyeuse équipe Hollande-Valls-Cazeneuve et consorts nous en offre une illustration... « frappante »).

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Chap. 4 – L’Union européenne ou l’Empire des normes

L‘Europe telle qu’elle fonctionne actuellement est le fruit des orientations d’origine. Le projet européen correspond à l’édification d’un marché qui s’est peu à peu doté de ses propres règles de fonctionnement, de son propre appareil institutionnel. La création d’instances indépendantes des politiques nationales représente une garantie indispensable au développement du système.

C’est ainsi que l’Europe est progressivement une machine à fabriquer des normes. L’ensemble des dirigeants européens ont œuvré dans ce sens d’un contournement du parlementarisme. L’Union européenne fonctionne comme un empire du droit le plus opaque, imposant un corset de fer aux pays membres.

La leçon grecque est sans appel : c’est avec tout le système des traités qu’il faut rompre pour refonder l’Europe.

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Chap. 5 – Le nœud coulant de la dette

L’exemple de la Grèce illustre parfaitement le fonctionnement du mécanisme infernal du chantage à la dette comme outil de gouvernement. La Grèce a bel et bien constitué le principal « laboratoire » de de nouveau mode de gouvernement par la dette.

Face à cela le suffrage universel ne pèse plus rien :

- La souveraineté de la Grèce sera énormément restreinte (J-C Juncker, juillet 2011, in Focus magazine allemand).

- Les élections ne peuvent pas changer quoi que ce soit. Si à chaque fois qu’il y a une élection les règles changeaient, l’Eurozone ne pourrait pas fonctionner (Wolfgang Schäuble, ministre allemand de l’économie).

Il s’agit là d’une logique de guerre politique. Il est clair, dès lors, qu’aucune inflexion réelle ne peut venir de l’intérieur du jeu institutionnel européen.

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Chap. 6 – Le bloc oligarchique néolibéral

Rien n’est dû au hasard. Depuis des décennies une coalition de groupes élitaires se constitue en un bloc oligarchique néolibéral. Il s’agit d’un pouvoir coalisé ... assuré conjointement par des partis, des entreprises, des institutions publiques. (...) haute caste bureaucratique ... acteurs financiers ... grands médias d’opinion ... institutions universitaires et éditoriales ... exercent toutes une fonction politique sans laquelle on ne pourrait rendre compte de l’actuelle radicalisation néolibérale.

Ce système dominant a trois grandes caractéristiques : autoreproduction ... corruption systémique ... double inscription, nationale et internationale ... (qui entraine) la cohérence néolibérale des politiques gouvernementales, de droite comme de gauche (par le biais de) la professionnalisation de la politique (et) le façonnement de la réalité.

Le remplacement brutal des gouvernants en Italie ou en Grèce par des « techniciens » ... souvent anciens banquiers est le signe de cette emprise de plus en plus directe des acteurs financiers sur les univers politiques.

De surcroit, l’expertise économique dominante de met au service des gouvernements néolibéraux, elle impose ses vues et interdit tout véritable débat. Nous savons combien les économistes « atterrés » ont de difficulté à se faire entendre. De leur côté, les médias traditionnels participent activement à une fabrication du consentement au néolibéralisme (cf. Noam Chomsky).

Et la gauche que l’on devrait dire de droite est pleinement engagée dans ce courant depuis près de quarante ans.

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Conclusion – La démocratie comme expérimentation du commun

Le moment est si difficile qu’il ne peut être actuellement question que d’une longue et patiente démarche réflexive.

Tandis que la gauche ... a organisé son propre sabordage en cessant d’incarner une force de justice sociale au bénéfice de l’extrême droite qui n’a eu qu’à braconner dans les terres ouvrières, c’est aux conditions d’une réorientation fondamentale qu’il convient de réfléchir.

Pour reprendre l’initiative, la gauche doit contester directement le néolibéralisme comme forme de vie. Désormais, l’élaboration d’une alternative ne peut venir que d’en bas, c’est-à-dire des citoyens eux-mêmes. Ce qui implique bien sûr une remise en question fondamentale de la logique même de la représentation politique, donc l’expérimentation d’un commun politique. Ainsi se trouve posée la question de la forme parti telle que nous la connaissons.

Il s‘agit dès maintenant de construire les conditions d’une solidarité internationale, entre autres de briser le cadre de l’Union européenne pour sauver le projet de l’Europe politique.

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A moins d’un entretien volontaire de la cécité, à moins de ne pas se sentir concerné par le monde ainsi qu’il va si mal, lire ce livre pour y réfléchir et tenter d’en débattre, s’impose comme une nécessité première.

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[1] Les citations sont en italiques

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J
Certes certes, mais pourquoi ils se gêneraient, ils ont tout : le pouvoir, l'armée, la police et le fric !<br /> Ach ! l'Europe… on peut aller se faire voir chez les Grecs, ils ne peuvent même plus s'asseoir.
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B
Belle décision dont je me réjouis.
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M
Merci Jean. Je vais me procurer cet ouvrage. <br /> Bon matin de Montréal.
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