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Epistoles-improbables - Blogue-notes de Jean Klépal

Télescopage

3 Décembre 2017 , Rédigé par Blogue-note de Jean Klépal Publié dans #Heinrich Wölfflin, style baroque, style rococo, Renaissance, Michel-Ange, Rome monumentale, architecture internationale contemporaine

Les Edition Parenthèses offrent un regain à un ouvrage de référence.[1] Alors que tout m’était inconnu l’écrit comme l’auteur, cette lecture me donne l’occasion d’un télescopage inattendu avec notre bel aujourd’hui.

Dans son essai paru initialement à Munich en 1888, édité une première fois en français il y a cinquante ans, Heinrich Wölfflin, historien d’art suisse, s’attache à démontrer que le baroque, loin d’être une dégénérescence de la Renaissance, relève d’une esthétique propre. Il s’appuie principalement pour ce faire sur une analyse comparée très fouillée des architectures de l’Italie romaine des 16e et 17e siècles, dont Michel-Ange fut le premier artisan avec sa recherche du colossal.

 

Le baroque est généralement connu comme un art du mouvement, de la surcharge décorative, des effets dramatiques, de la grandeur pompeuse. Bref, c’est un art de l’exagération et de la théâtralité, assez souvent ennuyeux et même parfois rebutant en raison de ses débordements.

Après avoir planté le décor en traitant de la nature de la transformation stylistique que représente le passage de la Renaissance au Baroque, Wölfflin passe au peigne fin l’architecture religieuse, puis les palais romains, et enfin les villas et les fontaines et jardins. C’est passionnant tant l’acuité du propos est grande.

 

Dès les premières pages apparait un télescopage inattendu avec ce que proposent de nos jours l’architecture et l’art décrétés contemporains. Toute analogie, comme tout parallèle trop littéral, sont sujets à caution, il n’en reste pas moins que la tentation est grande, et peut-être éclairante.

D’entrée de jeu, l’auteur nous prévient. Son « propos est d’observer les symptômes de la décadence et de reconnaître, si possible, dans le « relâchement et l’arbitraire » la loi qui permettrait de plonger le regard dans la vie intime de l’art. » Voilà qui est alléchant pour qui s’interroge sur les décrépitudes actuelles.

Relâchement et arbitraire, comme cela sonne actuel.

 

Perdant de sa rigueur  il apparait que l’art peut mourir, comme il advint de l’art antique avant que la Renaissance ne lui redonne vie en s‘en inspirant largement. Passé un certain temps la « dissolution de la forme fut accomplie en pleine lucidité », et le baroque s’imposa peu à peu en effaçant toute trace de sensibilité, jusqu’à dissoudre toutes les formes de la nature pour aboutir au rococo. « Après 1520, il n’y a plus dû y avoir une seule œuvre tout à fait pure. » (Cette remarque me renvoie à ce que je considère comme le début de la décadence de la peinture à Venise.)

Michel-Ange (mort en 1564) est reconnu comme « le père du baroque ». « Il traite les formes avec désinvolture. Il ne s’interroge plus sur leur sens, mais les met au service d’une composition qui recherche simplement des contrastes plastiques significatifs... »

Ce « traitement arbitraire de la forme », allié à l’absence de théorie et à l’attractivité d’un style qui se développe sans modèle, sûr de son bon droit, donc totalitaire, aboutit à l’absurde du rococo, voire au ridicule. Parlant du baroque, Heinrich Wölfflin trouve cette formule étonnante d’actualité : « L’art de la construction abandonne sa nature particulière pour rechercher des effets empruntés à u autre art. »

N’est-ce pas justement ce que l’on retrouve aujourd’hui, totalement exacerbé, aussi bien  dans une certaine forme d’art officiel mais surtout chez les vedettes internationales de l’architecture contemporaine, plus préoccupées de paraître que de fonctionnalité ?

Des noms se pressent alors, parmi lesquels :

- Ricardo Bofill et ses délires théâtraux, dont nous connaissons plusieurs exemples, en France (Paris, Montpellier), ou en Catalogne (Barcelone).

- Santiago Calatrava, dont le futurisme spatial débridé, sans aucune relation avec le contexte urbain, dénature en partie Valencia (Espagne).

- Franck Gehry, célèbre par son déconstructivisme spectaculaire (Etats-Unis, Canada, Espagne, France, Allemagne...).

- Zaha Hadid, avec ses formes molles au mouvement pétrifié (Irak, Chine, Egypte, Maroc, Japon...).

- Oscar Niemeyer, chantre des courbes de la modernité (Brésil, France, Espagne, Allemagne...).

- Jean Nouvel, dont les audaces provocatrices laissent peu de place à l’humain (Emirats, France, Espagne, Etats-Unis, Singapour...).

 

Les effets de masse vont toujours à l’encontre du sentiment plastique. Le geste architectural se présente à l’évidence comme négation d’une architecture raisonnée soucieuse de sa finalité première. Le pittoresque l’emporte, comme il se produisit à Rome entre le 16e et le mitan du 18e siècles.

 

Une fois de plus la fréquentation du passé éclaire notre présent.

 

[1] Heinrich Wölfflin – Renaissance et baroque – Editions Parenthèses 2017, col. Eupalinos,  219 p., 16 €

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