Fraîcheur de l'art roman
Cet art d’une époque d’avant l’Art, d’une époque ou la notion d’artiste n’existait pas, est éblouissant.
Il s’agit d’un temps du témoignage, d’une pureté de l’expression, avec toute la fraîcheur et la confiance qui marquent une implication totale dans la marche du monde. On raconte des histoires auxquelles on croit, on constate et on décrit ce que l’on voit, ce dont on est persuadé de l’existence. Établir une différence entre imaginaire et réalité n'est pas de mise. La fantasme s’incarne, il concourt pleinement au monde tel qu’on l’appréhende. On ne joue pas à, on vit aussi bien ce que l’on connaît que ce qu’on imagine, auquel on croit, que l’on décrit avec une extraordinaire véracité. Point de fables, il s'agit toujours de la réalité telle qu’on la conçoit. L’image est un gage d'existence.
Tout un peuple de bâtisseurs, façonniers divers, se met à l’ouvrage et témoigne tout simplement de sa foi, comme de l’enchevêtrement entre la trivialité du quotidien et le sacré. La vie est un rêve souvent cruel. La cruauté et la souffrance s’apparentent au constat. L’étonnement procuré par la découverte de différences ou d’inconnues construit un bestiaire dont l’évidence s’impose à tous. Le Codex Beatus de Liebana conservé à la Seo de Urgel, dans les Pyrénées espagnoles (Cerdagne), en est un remarquable exemple. Le contempler sur place est une grande source d’émotion (Google en propose un aperçu).
La magie joue à plein, elle participe du savoir. Le mystère de l’existence nécessite des explications et des commentaires, souvent assortis d’un solide bon sens. L’ingénuité marque la représentation du monde. L’innocence de la vision fonde la clarté. Nulle afféterie, juste le nécessaire, l’essentiel, ce qui permet une lecture et une compréhension directes. Le dessin revêt souvent la pureté de la haute antiquité. La précision du trait, de la ligne, vaut pleinement pour ce qu’elle indique. Ces temps furent durs, le dépouillement leur correspond, il ne connaît aucun bavardage.
A Barcelone, le remarquable musée d'art roman catalan n'est à manquer sous aucun prétexte.
Il faudra longtemps avant que cette simplicité puisse à nouveau apparaître sans aucune rouerie. Il faudra le XXe siècle et Matisse en sa chapelle de Vence. Entre temps l’art aura connu bien des vicissitudes, dont le gothique n’est pas des moindres. Oh, bien sûr, cette période du gothique n’est pas rien, elle a vu éclore d’incontestables chefs-d’œuvre. Elle a marqué une forte empreinte, mais elle est à l’art roman, ignorant de lui-même en tant qu’art, ce que la pâtisserie est à l’authenticité de la cuisine rustique, un savant détournement, une trop fréquente hypertélie. C'est-à-dire un développement nuisible d’une évolution dont le mérite principal fut de justifier le retour à plus de mesure, ce qu’a connu le quattrocento avant que le cycle de l’excès ne reprenne.