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Epistoles-improbables - Blogue-notes de Jean Klépal

A propos de l’Anthropocène (suite)

22 Janvier 2018 , Rédigé par Blogue-note de Jean Klépal Publié dans #Bruno Latour, Anthropocène, Brexit, Trump, Climat, Géo-politique, #Migrations

Dans deux articles parus en octobre dernier [1], j’ai abordé la notion d’Anthropocène, c’est-à-dire cet âge géologique qui a débuté lorsque les activités humaines ont commencé à avoir un impact global significatif sur l'écosystème terrestre.

Le dernier livre de Bruno Latour [2], « Où atterrir ? »[3] s’inscrit dans une démarche d’élucidation des défis auxquels nous sommes confrontés et des changements de paradigmes qui s’imposent à nous. Il contribue à une indispensable réflexion générale sur l’Anthropocène et sur la politique.

 

Le livre est divisé en vingt rubriques jalonnant une revue des points nodaux à considérer. Ces rubriques présentent constats et hypothèses propres à un inventaire préalable à toute prise de décision quant à l’avenir.

Tentons une énonciation.

 

L’élection de Donald Trump, le 11 novembre 2016, offre l’occasion de relier trois données jusqu’alors estimées indépendantes :

La chute du mur de Berlin a marqué le début de l’explosion des inégalités, la négation de la mutation climatique, et le constat des classes dirigeantes qu’il n’y a plus assez de place sur terre pour elles  et les autres.

« ... on ne comprend rien aux positions politiques depuis cinquante ans si l’on ne donne pas une place centrale à la question du climat et à sa dénégation. »

L’abandon par les Etats-Unis de l’accord sur le climat indique clairement qu’une guerre nouvelle est déclarée : « Nous, les Américains, n’appartenons pas à la même terre que vous. La vôtre peut être menacée, la nôtre ne le sera pas ! » (Bush père, en 1992 à Rio : « Our way of life is not negociable.” [4])

Brexit, élection de Trump, « Deux des plus grands pays de l’ancien monde libre disent aux autres ... allez au diable ! »

 

L’amplification des migrations nous dit que « la notion même de sol est en train de changer de nature. Le sol rêvé de la mondialisation commence à se dérober. » Elle nous dit aussi que la notion de frontières tient de plus en plus de l’illusion.

Si les plans de développement de chaque pays devaient se réaliser, la planète ne saurait suffire. « ... alors plus personne n’a ... de chez soi assuré. »

« Le nouveau régime climatique balaye ... toutes les frontières ... Ni la souveraineté des Etats ni l’étanchéité des frontières ne peuvent plus tenir lieu de politique. »

« la Terre ... a cessé d’encaisser les coups (elle) les renvoie de plus en plus violemment. »

La dénégation continue des sciences du climat entraîne un scepticisme généralisé correspondant à une véritable trahison de la confiance accordée aux dirigeants politiques et à des scientifiques vénaux. « ... la question du climato-négationnisme organise toute la politique du temps présent. »

Il n’y a plus désormais d’horizon partagé pour rien, même pas pour identifier qui est progressiste et qui est réactionnaire. Il faut tout repenser, quoi qu’il en coûte.

« L’originalité de Trump, c’est de conjoindre ... la fuite en avant vers le profit maximal ... et la fuite en arrière ... vers le retour aux catégories nationales et ethniques (« Make America great again » [5], derrière un mur) » Toutes les formes de solidarité, internationale et nationale, sont brisées. Désormais un vaste pan de la politique rejette le monde auquel elle prétend s’intéresser.

Le terme géopolitique est ancien, l’usage veut que l’accent soit mis sur « politique ».  Ce qui change, c’est que « géo » désigne dorénavant un agent actif, et non plus seulement un cadre passif. « Le territoire se met à participer à l’histoire, à rendre coup pour coup... ». Avec l’Anthropocène surgit « un bouleversement qui mobilise le système terre lui-même. » La situation est tout à fait inédite.

 

Comment expliquer l’absence de relais dans les procès d’indignation collective ? Pendant longtemps la définition d’un horizon donnait un sens au « progrès ». Droites et Gauches rivales n’ont jamais clairement expliqué vers quel monde précis elles tentaient de s’acheminer. C’est ainsi que l’horizon s’est vidé de sens pour ne devenir qu’une simple utopie. Cela a marché jusqu ‘au moment récent où il est apparu qu’aucune Terre ne pouvait correspondre à l’horizon du Global. Les changements et les enjeux ont été occultés au bénéfice de la stabilité de repères politiques totalement dépassés. Après avoir connu l’âge de la question sociale, nous sommes parvenus, totalement dénués d’outils appropriés, à « l’âge de la nouvelle question géo-sociale. »

Il nous faut changer de paradigme et admettre que Terrestre et Globe ne sont pas équivalents. Le global procède d’une vision lointaine, tandis que le terrestre intériorise la vision. Vue de l’Univers, la nature n’a rien de commun avec celle que l’on appréhende depuis la Terre. Une véritable confusion mentale pousse à « l’illusion du Global comme horizon de la modernité. »

 

« On ne fera aucune avancée vers une politique de la nature tant qu’on utilisera le même terme pour désigner » la Planète et le Terrestre.

«  Un monde composé d’objets n’a pas le même type de résistance qu’un monde composé d’agents. » C’est ainsi que l’air n’est plus un simple environnement nécessaire à notre existence, mais aussi le résultat de notre action sur ce qui nous entoure. Le vivant participe activement à l’ensemble de phénomènes qui nous concernent. L’humain n’est qu’un agent parmi tant d’autres. Désormais la Terre s’invite en réagissant à chacune de nos actions, et les contradictions s’intensifient entre les « élites obscurcissantes » et le reste de l’humanité, en charge d’une nécessaire « repolitisation de toutes les questions planétaires. »

« Dire : nous sommes des terrestres au milieu des terrestres, n’introduit pas du tout la même politique que nous sommes des humains dans la nature. »

 

Le lecteur l’aura compris, ce livre mérite largement que l’on s’y arrête.

 

[1]  Jean Klépal, Epistoles improbables - 25 octobre 2017 : Des légumes au Musée - 30 octobre 2017 : Que se passe-t-il sur Terre depuis au moins un quart de millénaire ?

[2] Bruno Latour est un sociologue spécialisé dans l’étude de la démarche scientifique. Il est très impliqué dans l’étude des conflits géo-sociaux en cours. C’est l’un des quelques esprits qui comptent aujourd’hui en France, et dans le monde Anglo-saxon.

[3] Bruno Latour, Où atterrir ? comment s’orienter en politique – La Découverte, 156 p., 2017, 12 €

[4] « Notre mode de vie n’est pas négociable ».

[5] « Rendre sa grandeur à l’Amérique ».

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M
Un peu à côté mais pas tout à fait: J'ai vu récemment un documentaire sur l'alimentation façon ''American Way of Life'' intitulé ''What the Health?'' Et je vois chez les jeunes Montréalais une tendance prononcée à adopter un mode alimentaire végétalien. Et des établissement de bouffe rapide qui se font une réputation sur la consommation de fruits, légumes, légumineuses et céréales intégrales. Pour la santé et pour la planète. Il y a des mouvements ''en marche'' pour la cause. Ne désespérons pas de l'humanité.
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