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Epistoles-improbables - Blogue-notes de Jean Klépal

Picasso et l’érotisme - Islam et Chrétienté

9 Février 2019 , Rédigé par Blogue-note de Jean Klépal Publié dans #Kamel Daoud ; Picasso ; érotisme ; image du corps ; Islam ; Occident chrétien ; musée ; collection ; vestige ; oralité

Il y a des époques qui en veulent au corps, comme s’il avait été volé à un dieu (K. D.)

 

Kamel Daoud, écrivain algérien vivant à Oran, a passé seul une nuit au musée Picasso de Paris en compagnie des peintures de 1932 représentant Marie-Thérèse Walter. Un arabe confronté au cannibalisme érotique de Picasso, cela donne un écrit : Le peintre dévorant la femme (éd. Stock, 2018, 207 p., 17 €).

Livre éclairant, pétris d’intelligence, brillant souvent, bien que parfois un peu bavard (ne surtout pas se laisser dissuader). L’auteur se révèle très pertinent critique d’art, mais l’intérêt majeur de son apport réside ailleurs. L’ouvrage propose de naviguer entre Occident chrétien et Islam. Il souligne des démarcations nettes et strictes clairement établies, irréductibles, pour aider à comprendre ce qui fonde une incompatibilité susceptible d’aller jusqu’au radicalisme entre deux cultures rivales.

A grandes enjambées :

L’Islam n’admet pas la représentation de la figure humaine, parce que c’est une création de Dieu. Vouloir la représenter, c’est chercher à rivaliser avec Dieu.

Le corps est choisi, donné, par Dieu. Personne n’a le droit de le changer (chirurgie esthétique, épilation, tatouage…).

La pierre nue est le miroir du ciel. La sculpture est, de ce fait, totalement inopportune.

Dans les églises, le ciel est surchargé de figures, tandis que les bancs sont vides. La terre est déserte comparée au ciel du plafond. Pour les musulmans, le ciel est vide, et la mosquée monte vers un ciel sans foule, ni image. Toute image est interdite, le rien est miroir. Nous avons là une esthétique du désert. Le vide est le reflet, l’image de Dieu. L’unique cierge est celui du minaret.

Les églises sont des lieux de spectacle, la mosquée est peu différente d’un campement de toile. Si nécessaire, l’eau des ablutions peut être remplacée par du sable, qui est le contraire du foisonnement. - Notons au passage que le fantasme du repli sur soi n’est pas loin. –

La notion même de musée pose question.

Si l’Islam a le culte de l’Histoire, c‘est d’une Histoire vide de vestiges qu’l s’agit. La transmission est liée aux récits, fabricants de vérités. Il n’est donc pas question de constituer des collections. Collectionner, c’est s’encombrer de l’éphémère, les musées sont dès lors des lieux inutiles. Seul importe le compte-rendu que fait Dieu par l’intermédiaire du livre sacré.

Le musée met en procès l’absolu. Il est le contraire d’un lieu sacré, il révèle en effet la possibilité d’un temps d’avant la Révélation.

L’art fournit la preuve que du temps s’est écoulé, il témoigne d’une impureté. Le saint tueur veut restaurer l’éternité, il détruit les montres et les horloges que sont les vestiges. Le triomphe du désert correspond à la parole de Dieu.

Tout ce qui est antérieur à la Révélation est erroné, faux, méprisable, et justifie la colère vengeresse, donc la destruction. Ainsi s‘installe l’idée du précaire.

Pour les plus radicaux, la destruction des traces des origines devient indispensable, parfaitement légitime. Le fanatisme des talibans et de Daesh trouve ici une explication.

Picasso raconte l’histoire du corps en Occident.

Il parle crucifixion, immobilisation, putréfaction, réduction à la pierre statuaire ou au songe, à la croix ou à la sieste.

Pendant très longtemps, gavé ou corseté, dévoilé, fétichisé, le corps n’est pas libre de sa représentation, il est réduit au portrait. En 1932, Picasso l’explose avec sa peinture emplie de désir érotique.

Face à cela, la calligraphie arabe serait un art érotique sublimé, une mise en scène de la lutte de l’image contre le dogme, un art du contournement de l’interdit de la représentation. Hypothèse intéressante, qui fait penser à Hassan Musa et son détournement délibéré de la calligraphie.

L’érotisme est la religion la plus ancienne, le corps est l’unique mosquée, l’art est la seule éternité dont nous pouvons être certains, conclut non sans audace Kamel Daoud.

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D
Merci à toi Jean, j'aime ce regard et ces réflexions sur nous comme sur lui. A écouter mais aussi à lire https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-2eme-partie/lerotisme-vision-ou-peinture-du-monde-0<br /> Amitiés
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