Culture et crédulité
De récentes prises de position formulées dans mon entourage à partir de l’actualité socio-politique m’interrogent sur la conduite de pensée de personnes réputées posséder un bagage culturel non négligeable.
Ces prises de position concernent toujours des informations ou des points de vue différents de ce que l’on entend communément, qui par-là dérangent. Elles s’expriment soit par une mise en doute, soit selon une contestation plutôt spontanée, parfois véhémente. Leur aspect émotionnel frappe à chaque fois. Elles semblent fréquemment correspondre à une réaction de défense immédiate, elles vont dans le sens d‘une mise en doute, voire d’une vigoureuse réfutation. Agressivité et démesure les caractérisent la plupart du temps.
D’où une question apparemment paradoxale : La culture pourrait-elle entraîner la crédulité ?
Nous savons depuis longtemps combien il est illusoire d’associer niveau culturel et capacité de réflexion. Le stockage de connaissances n’a évidemment rien à voir avec l’usage qu’on en fait. Cela semble indubitable, méfions-nous des sachants, et cependant… Déjà Montaigne : « mieux vaut une tête bien faite plutôt que bien pleine ».
Quels symptômes nourrissent la question ? J’en relève deux :
- La tendance à tenir pour vrai ce qui va dans le sens commun. (Vox populi, vox dei. Ah, bon !)
- La tendance à orienter les recherches d’information en accordant la priorité à ce qui va dans le sens des croyances de qui cherche.
Cela provoque des pathologies bien particulières, tenant au congé donné à la raison ainsi qu’à toute démarche personnelle authentique.
Ce qui entraîne :
- Hyper sensibilité aux opinions générales, ainsi qu’aux évidences communes, c’est à dire aux « allant de soi ». (Comme cela « va de soi », toute mise en question est superflue.)
- Suspension de l’exercice de la pensée, et dispense du doute critique (Descartes : « ne jamais recevoir aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle »).
- Crispation méningée avec perte de porosité intellectuelle (minéralisation de la masse spongieuse cervicale), conduisant à des stéréotypes et des rigidités chroniques. (Prêt à penser, prêt à porter, pensée jetable.)
Les temps que nous vivons en ces moments de confinement généralisé sont très propices à ce genre de pathologie.
Parviendrons-nous à nous en garder malgré l’entretien permanent d’un climat de panique ?
Parviendrons-nous à réaliser combien le pouvoir cherche à culpabiliser les individus pour les soumettre et éloigner toute menace de rébellion ?
Parviendrons-nous à réaliser la constance de cette stratégie, depuis la fable de la dette publique issue de modes de vie déraisonnables, bien que soigneusement entretenus par la publicité et les « lois du marché », ainsi que par la primauté de la finance internationale ?
Parviendrons-nous à réaliser combien la déroute actuelle est la conséquence d’un appauvrissement obstiné du système de santé depuis quinze à vingt ans, et non pas le seul fait de « comportements irresponsables » de la population, peu respectueuses des mesures de sauve-qui-peut telles que le confinement, réponse médiévale à un fléau non anticipé ?
Parviendrons-nous à réaliser que le pouvoir n’a de cesse de lancer des leurres médiatiques ne correspondant à aucune réalité factuelle, pour canaliser une colère justifiée et masquer les conséquences effarantes de la doctrine libérale dont il est un des champions ?
Naomi Klein précise utilement dans un entretien récent que « la stratégie politique consiste à utiliser les crises à grande échelle pour faire avancer des politiques qui approfondissent systématiquement les inégalités,1 enrichissent les élites et affaiblissent les autres. En temps de crise, les gens ont tendance à se concentrer sur les urgences quotidiennes pour survivre à cette crise, quelle qu’elle soit, et ont tendance à trop compter sur ceux qui sont au pouvoir. En temps de crise, nous détournons un peu les yeux, loin du jeu réel. »
[1] Vingt-cinq ordonnances bousculant le droit du travail, prises à la hâte par le gouvernement dimanche 22 mars 2020. Présentation au Conseil des Ministres, 26 mars 2020, de règles dérogatoires au Droit pénal.
Cynisme des déclarations présidentielles du 25 mars 2020 à Mulhouse, annonçant une aide exceptionnelle à un système de santé délibérément affaibli.