Fringale
Un long temps de privation, un long temps d’interdit, et le désir semble disparu, trop lointain, trop inaccessible.
Etiolé, enfoui, recroquevillé, il somnole. Simple hibernation, sensible au moindre frémissement car contrainte, artificielle. Il suffit alors de peu pour éveiller un besoin impérieux, un désir ardent, une fringale.
Au dehors la chaleur étouffante du mois d’août, la chambre que j’occupais dans le service de soins intensifs était tempérée. Et pourtant… Un brusque désir de bière fraîche m’a saisi, totalement hors de portée bien évidemment. Rires des soignants, médecin en tête. « Vous n’y pensez pas, de l’alcool à l’hôpital, et dans votre état ! Allons, soyez raisonnable !»
Seule issue, l’humour ; la requête est vite devenue un dérisoire mode de reconnaissance propre à canaliser la frustration. Humour salvateur, souvent regard distancié sur une situation anxiogène.
La charge devient parfois si lourde que le gilet de sauvetage se révèle insuffisant. Des grincements apparaissent, l’ironie, la colère ou une lassitude délétère pointent le museau. D’autant plus que la morgue méprisante de nains porteurs d’un pouvoir temporaire, interprètes d’une chanson inchangée, s’entêtent à baptiser vrai le faux le plus criant. Air vicié.
Marre de ne plus pratiquer grand monde. Les discussions, les rencontres nourries manquent. Envie très forte de peinture, d’aller humer un atelier, envie de concert, de musée, de visites, de cinéma, de théâtre. Besoin de vie vivante, libre, décontractée, non strictement marchande ou utilitaire, besoin de soleil, d’espace. Envie de respirer sans contrainte, de bouger, de savoir que tout cela est possible, qu’il n’est pas besoin de sauf-conduit, d’alibi, de faux-semblant. Envie de projets, besoin de rêves. Soif de légèreté. Fringale de senteurs et de saveurs !
Privilégier le volet économique, tenir pour secondaire la santé publique, physique et mentale d’un pays, est tout simplement abominable.
Chercher à donner le change par des annonces tardives, contradictoires, confuses, souvent incohérentes, est ridicule.
Garder en ligne de mire la réforme des retraites comme priorité intangible, supérieure à toute autre, clame le mépris pour une population à asservir au plus vite.
Entretenir une propagande informative machiavélique, nier les évidences d’une absence totale de maîtrise, d’anticipation et d’organisation efficace des mesures sanitaires, est inadmissible.
Fringale d’air pur.
Face à ces extrêmes, les oppositions dites de gauche continuent de s’entre-déchirer. Des chefaillons auto-proclamés se parent de vertus qu’ils n’ont jamais eues, de valeurs qui leur sont étrangères, pour miner sans cesse un terrain qu’ils vont une fois de plus traitreusement livrer à leurs prétendus adversaires. Le vert couleur d’espoir devient synonyme d’ambition personnelle criminelle.
Alors une énorme fringale de vérité, d’authenticité, d’honnêteté, d’intransigeance. De nettoyage, de rupture définitive avec un jeu totalement périmé.