Parce que...
What do you read my Lord ? Que lisez-vous Monseigneur ?
Words, words, words. Bla, bla, bla.
Shakespeare – Hamlet, II, 2
Et voilà justement ce qui fait que votre fille est muette.
Molière – Le médecin malgré lui, II, 4
Tu causes, tu causes, c’est tout ce que tu sais faire.
Raymond Queneau – Zazie dans le métro, passim
Posez-moi les questions, j’ai les réponses.
Woody Allen (semble-t-il)
Combien est répandue cette faculté de trouver des réponses immédiates, de discerner les causes d’un phénomène ou d’une situation problématique, d’expliquer hâtivement ce qui surprend.
Combien est impérieux ce refus de ne pas savoir, de douter, de demeurer dans l’indécision, ce besoin de dénier ce qui gêne.
Le temps du COVID exacerberait-il ces tendances ? Il se pourrait. L’incertitude se révèle difficilement soutenable, elle requiert sans délais des prothèses mentales et affectives.
Les temps anciens développèrent le recours aux fables de la Mythologie, du polythéisme, puis des religions monothéistes. Nécessité absolue de représentations, d’histoires sur lesquelles s’appuyer, de révélations, de mystères labellisés, pour couper court aux angoisses de l’existence. Plus récemment, les idéologies totalitaires tentèrent d’évincer les religions, puis s’établit parfaitement sûr de lui le culte universel du Veau d’Or.
Ainsi se constituèrent des réponses opératoires garantissant une résistance absolue aux coups de bélier de l’Histoire, souvent ramenés à de simples piqures d’épingle grâce à une relativité temporelle. La brièveté du temps d’une vie n’a rien à voir avec la permanence de la Durée. Cette brièveté alimente notre impatience et entretient le règne de l’immuable, parfois grossièrement dissimulé par une astucieuse rénovation de façade. Elle permet aussi la parade foraine des bateleurs de la politique, de plus en plus essoufflés mais toujours aussi persuadés de leur importance et de leur nécessité, encouragés en cela par la docilité encore majoritaire d’un corps électoral délibérément aveugle à son aliénation.
Donnez-nous notre pain quotidien,
et surtout une réponse à notre ignorance,
afin de nous délivrer du mal de la soif de connaissance,
et du besoin d’autonomie.
Ainsi s’est élaboré un joli fonds de commerce international, à responsabilité et durée illimitées, avec des agences sur chaque continent.
Du panem et circences de la Rome antique jusqu’à la société du spectacle, une succession d’ajustements techniques assure la continuité d’un système intangible de duperie généralisée.
Lorsque des avis de gros temps circulent, des bataillons d’experts sortent du bois, comme fleurissent les graminées sauvages sitôt l’orage. Crétins ayant réponse à tout, ils caquèttent du parce que à tout va. Jamais bien sûr nous ne les entendrons chercher à identifier la nature des questions posées, pas plus que nous ne les verrons tenter de saisir les origines d’un problème dont les composantes leur importent si peu. Le temps presse, il est décompté par l’horloge radio-télévisuelle, les fidèles audispectateurs trépignent, il faut des explications immédiates à ce que l’on ignore, de même qu’il faut disposer des cibles sur lesquelles s’acharner, le cas échéant, comme au jeu de massacre de la fête foraine.
A quoi attribuer le manque de masques, la pagaïe des vaccinations, le sous-équipement hospitalier chronique, les annonces contradictoires de mesures à géométrie variable en matière de déplacements, la présentation au Parlement de données trafiquées, les promesses non tenues, les contradictions flagrantes dans les décisions de fermeture ou d’autorisation d’activités, le hiatus permanent entre annonces officielles et réalités du terrain, l’absence de perspectives, les voltefaces ministérielles, le court-circuitage des Assemblées, la constitution d’instances décisionnelles hors contrôle, sinon à des circonstances étrangères aux décideurs faisant de leur mieux ? Pourquoi indéfiniment repousser la fin des mesures d’exception, sinon pour donner à ces décideurs le temps et les moyens de parfaire leur emprise ?
Circulez, y a rien à voir,
l’urgence commande,
nous veillons et nous pensons pour vous !
Discuter, débattre, réfléchir de manière pluridisciplinaire, serait gâcher un temps bien trop précieux, et puis les risques de dérive seraient trop importants (on l’a bien vu avec le Grand Débat post gilets jaunes, puis avec la Convention Citoyenne pour le Climat). Nous avons par ailleurs tant de choses à mettre en place, une loi climat, une autre sur le séparatisme et la protection de la police, sur les retraites, des décrets sur la réforme de l’Etat et les modalités de la formation de ses serviteurs, etc.
Dans l’arène, les membres de la cuadrilla agitent les capes pour étourdir le toro blessé. A la télévision, à la radio, dans la presse papier, les ministricules et leurs affidés interviennent, ils accaparent le temps de cerveau disponible. Se produire, se montrer, occuper la scène, se faire désirer, parler d’autant plus qu’on n’a rien à dire, voici l’alpha et l’oméga de la com’ publique. Le bla bla officiel et les capes des toréadors s’équivalent.
Si d’aventure quelque défiance se manifeste le couteau suisse des explications vaseuses, le socle de théories fumeuses telles le complotisme, autrement dit le Parce que, est immédiatement dégainé. Fondé sur une relation de cause à effet à portée de main, il dispense de toute réflexion, de toute analyse critique. Aisément disponible, prêt à l’emploi, il permet de passer à autre chose avec la conscience tranquille.
Quelle que soit la question apparente, la réponse se trouve dans les « éléments de langage » soigneusement élaborés par des rédacteurs aux ordres. S’il se passe quelque chose quelque part, c’est d’abord parce que ceci ou cela l’explique de manière évidente. Lumineux. Tout ce que nous avons fait, tout ce que nous avons entrepris, trouve ici sa justification. Nous avons pris telle ou telle décision parce qu’elle s‘imposait, n’importe qui d’autre aurait agi de même. Par conséquent, aucune remise en question, aucun remord, ne peuvent s’envisager.
La complexité des relations de cause à effet, comme celle de la notion même de cause, sont volontairement ignorées. Le simplisme suffit, il est à la portée de chacun, garant d’une douce somnolence.
Au fait, à quoi cet article est-il dû ?
En premier lieu à une irritation récurrente face au mépris et à la pauvreté mensongère du discours politique, ensuite à la vacuité et à la partialité servile des propos tenus par les ténors de l’information radio-télévisuelle, totalement dénués d’exigence critique et de vision sur les objets de leurs interventions. Leur toxicité ne date pas d’hier, mais elle semble grossièrement accrue ces dernières années avec la personnalisation galopante d’un Pouvoir de plus en plus régalien.
Des remarques glanées ici ou là à l’occasion d’échanges informels du type « Café du Commerce » ont aussi grandement contribué à mon effarement face à la naïveté et à l’indigence satisfaites d’elles-mêmes dont témoignent de nombreux propos estimés anodins. Ce papier n’y changera rien, il me soulagera peut-être de certaine humeur maligne rétive aux purgations des Diafoirus de l’actualité. Puisse-t-il peu ou prou inciter quelques-uns à une cure bénéfique à leur équilibre.