Elire ou voter ?
Question apparemment surprenante tant les mots, pris indifféremment l’un pour l’autre, sont affadis et dénaturés.[1] Et pourtant. Elire, c’est désigner quelqu’un parmi divers prétendants ; voter, c’est manifester une volonté à respecter et à faire respecter. Ceci posé, il est clair que les citoyens n’ont jamais été invités à voter, mais toujours à élire les maîtres auxquels ils devront obéir aussitôt dissipée l’euphorie instantanée ; il est clair qu’à tomber dans le piège des élections ils se desservent eux-mêmes.
Si l’on en croit les esprits binaires pour lesquels aucune nuance n’existe entre le blanc et le noir, la France serait évidemment une démocratie dans la mesure où elle n’est pas encore une dictature avérée. De fait, le système confiant durablement le pouvoir à quelques personnes interchangeables, fondé sur des élections toujours biaisées par d’astucieux découpages de circonscriptions et des modes de scrutins arrangés, dans lequel nous baignons depuis les origines de la République, fait que nous sommes dans une démocratie inégalitaire autoritaire en voie de fascisation. Une démocrature dont les ordonnances, l’état d’urgence instillé dans la loi courante, les violences policières, le chômage de masse, et la discrimination, forment l’ossature. Continuer à parler de démocratie, même à l’état gazeux ( !), pourrait relever d’une indigence mentale.
Le suffrage universel entretient une illusion de choix électoral, les pseudo-opposants ne permettent que de différer la survenance de la catastrophe ouvertement liberticide. A moins de cécité absolue, leur collusion de fait apparaît désormais au grand jour : un Ministre de l’Intérieur peut se joindre à des policiers manifestant contre le Parlement et le Département de la Justice, la séparation des pouvoirs ayant perdu toute valeur, tandis que le Président de la République fait silence. Les dirigeants du PC, du PS, et des Verts, se joignent à la manifestation, perdant ipso facto toute légitimité, sans craindre de publier leur duplicité, sachant qu’elle sera noyée dans l’absence de vigilance et de sens critique.
Alors que les classes dirigeantes colonisent l’opposition parlementaire par le jeu des origines et des formations communes, le peu d’opposition démocratique subsistant vaille que vaille est muselé par la limitation de l’accès aux tribunes officielles, une presse aux mains de la puissance financière, une parole annihilée sous prétexte de complotisme. L’expérience a démontré que l’alternance au pouvoir est totalement dénuée de péril pour l’oligarchie en place.
Le mythe de la souveraineté populaire sert à masquer très imparfaitement l’injonction faite aux citoyens de déléguer tous pouvoirs à des potentats et roitelets locaux, régionaux, et nationaux. Les citoyens ne gèrent pas, ne sont pas autonomes, ne peuvent prendre aucune initiative susceptible de déboucher sur une législation nouvelle. De surcroît, ils n’ont aucun droit de contrôle de l’activité de leurs « représentants », libres d’agir comme bon leur semble, une fois élus.
1793 a permis l’édification d’une démocratie monarchique de droit constitutionnel électif en lieu et place d’une monarchie de droit divin. La Constitution de la Ve République répond parfaitement à cette exigence.
Quel constat face à ce tableau lamentable ?
A. Malraux a écrit en 1936 un ouvrage intitulé Le temps du mépris. Nous sommes depuis lors dans ce temps, jalonné notamment depuis la fin de la seconde guerre mondiale par le dédain gaullien, la morgue mitterrandienne, la démagogie crapuleuse chiraquienne, la vulgarité sarkosiste, le mépris macronien.
Quoi d’étonnant alors à constater l’ignorance crasse, la crédulité, la paresse intellectuelle d’un bien trop grand nombre de nos concitoyens, abrutis par un système d’enseignement soigneusement inefficace, quotidiennement laminés par le matraquage médiatique, entretenus dans la peur du lendemain, des périls divers, d’une contagion mondiale, la méfiance de l’autre, etc.?
Elire, voter ? Le problème est ailleurs, la question est devenue sans objet. Ainsi posée, tenter d’y répondre par le dépôt d’un bulletin dans une urne ne peut que confirmer l’existant dans son être, chose impensable, viscéralement inadmissible. Perpétuer les mêmes rites mensongers n’est plus possible !
La question serait, s’il en était encore temps, celle d’un changement radical de paradigmes, Nature et règles du jeu à totalement refonder, rien n’est sauvable du marché de dupes permanent !
[1] Le lecteur pourra se reporter avec intérêt à l’article de Gérard Volat paru dans Médiapart le 5 juin2021 :
Le mot démocratie : la plus importante des fake news ?